La gamification, vous en entendez parler de plus en plus souvent, mais de quoi s’agit-il ? Le mot provient du marketing, il apparait à la fin des années 2000 et désigne l’utilisation de technologies liées aux mécanismes psychologiques issus du domaine du jeu vidéo. L’objectif pour les entreprises est d’utiliser ces techniques dans des situations business habituellement pas reconnues comme ludiques et ayant en réalité comme objectif de collecter de la data, d’augmenter la fréquence ou le volume de contact et, de ce fait, la rentabilité de leur activité. Il existe des centaines de techniques de gamification tels que les systèmes de points, les challenges, les badges, les niveaux, les statuts, la collaboration, le scoring, la progression, etc. qui sont autant de mécanismes adaptés à un contexte, une marque ou un business. Ces techniques se développent à grande vitesse dans les tous les secteurs d’activités grâce aux moyens techniques offerts par le digital, le Web et les réseaux sociaux.
Par exemple, utilisée dans le cadre de la formation, la gamification permet à moindre coût d’obtenir une montée en compétence - souvent en dehors du cadre du travail - à observer et contrôler chaque collaborateur pour connaître son temps de connexion, mesurer sa connaissance de la marque/entreprise et son degré de progression.
Une seconde d'attention de plus que le poisson rouge
Google explique que le temps d’attention du poisson rouge est de huit secondes, et que celui d’un enfant né avec un smartphone entre les doigts est de neuf secondes. Ecole 42 -L’école de formation en Informatique fondée par Xavier Neil- utilise parfaitement ce concept avec comme objectif un « engagement » maximum des élèves. Les systèmes de fidélisation mis en place par les chaînes de restauration ou d’hypermarché répondent aux mêmes codes : fréquence et panier moyen en forte augmentation par une approche « jeux ».
Afin de mieux comprendre les mécanismes de la gamification et leur redoutable efficacité, il faut comprendre les ressorts psychologiques qui vont pousser les individus dans certaines situations à jouer et éventuellement à se mettre en risque de dépendance.
Un ensemble de pathologies
Cette forme du jeu appliqué à l’univers professionnel soulève directement la question de la dépendance, puisqu’elle est désormais utilisée consciemment par les experts du marketing et de l’expérience client comme étant une stratégie business permettant de piloter le comportement des utilisateurs (influencer le comportement et faire croître la motivation et l’engagement). Cette « gamification » transforme aujourd’hui profondément le marketing et la relation client-entreprise avec pour principal objectif la fidélisation du consommateur notamment en captant son attention et en évacuant ses sources de frustration.
Les principales mécaniques psychologiques, qui font son succès et qui peuvent créer une dépendance, se divisent en 5 catégories :
- L’individualisme et la recherche de la gratification : l’individu agit selon ses pulsions pour obtenir une récompense voire souvent une reconnaissance ;
- La recherche permanente de plaisir et de stimulation : la « gamification » tend à rendre « jouissive » la relation business/individu et pousse ce dernier à répondre à ses pulsions de plaisir le plus longtemps possible ;
- La répétition de cette relation gratifiante qui génère une habitude ;
- L’aspect rassurant et inoffensif de cette gamification (zone de calme) ;
- L’intégration à un groupe ou une communauté : une utilisation qui pourrait être jugée excessive ne l’est plus dès lors qu’une majorité adopte ce comportement et le normalise.
Les grands groupes utilisent nos datas personnelles pour provoquer notre attention perpétuelle en vue de créer une dépendance
Quand ces méthodes marketing sont consciemment mises en place, nous sommes bien dans un risque d’apparition de la dépendance : la répétition de comportements fondés sur la jouissance pulsionnelle, qui se perpétuent malgré la volonté et qui ont des effets négatifs sur l’individu et sa vie sociale. Pour aller plus loin, cette répétition en boucle d’une dynamique dont le sujet n’est pas entièrement maître soulève la question sociétale de savoir si après une société disciplinaire, puis une société de contrôle, nous ne sommes pas en train de passer à une société où tous les individus seraient eux-mêmes intégrés dans les processus de production : si c'est gratuit, c'est que vous êtes le produit !
Pour conclure, il faut noter qu’après la gamification et les risques de dépendance liés nous assistons à l’émergence de « marketing neuronal » où, il est essentiellement question de stimuler les comportements des consommateurs grâce à l'identification des mécanismes cérébraux qui interviennent lors d'un achat ou face à une publicité (en contournant littéralement sa rationalité).
Ces techniques marketing encore plus sophistiquées associées à la gamification vont, à n’en pas douter, si le législateur n’intervient pas, créer des sujets de santé public à grande échelle dans les années à venir. Le challenge sera alors pour notre système de santé qu’il puisse s‘adapter et mettre en place une réelle prise en charge de ces nouvelles pathologies.
Comme c'est bien dit (sincèrement !) et surtout bien tourné.
Signaler un abusL'ennui c'est qu'on ne pourra pas éternellement refiler aux autres les problèmes que l'on crée. D'autant plus que le "système de santé" en l’occurrence... c'est de psychiatrie que l'on parle ? Faudra t'il faire des cures comme on va chez le dentiste ?
le "systéme de santé" dont vous parlez si aisément est une abstraction bien commode, un "produit miracle" (en déshérence totale par ailleurs).
Si on dissémine des cancérigènes dans notre espace vital (ce que nous faisons déjà) la solution n'est pas dans un hypothétique "système de santé" (toujours à la charge de l'autre) mais dans l'arrêt des disséminations. C'est encore plus vrai en matière de psychologie et de pathologie mentale ou le rôle de la "niche environnementale" est prépondérant pour la santé de l'individu. Notre premier systéme de santé (ou de maladie) mentale, c'est cet espace de vie et de pensée que nous appelons "famille", "société"... notre environnement culturel et social. Considéré comme contingent par certains primordial par d'autres, cet environnement est ici traité comme une ressource naturelle, or contrairement à la nature la société doit être construite et maintenue. Une société malade rend les gens fous, l'Histoire en témoigne. Les difficultés qui se présentent actuellement causées par les modifications que nous avons imposées à "la nature" (notre biotope) pourraient très facilement se voir transposées à "la culture" (la noosphère) que nous modifions également sans discernement, je ne fais que reprendre votre propos.
Le scrupule louable qui consiste à faire appel au "législateur", comme alternative à un miraculeux mais peu crédible "système de santé", est il autre chose que la reconnaissance de ce que j'exprime plus haut ?
Puisqu'on ne peut soigner toutes les maladies que notre mode de vie provoque, réglementons... Ou pour le dire mieux "gérons notre consommation". C'est aussi ça la dépendance, tenter de maîtriser une consommation dont on n'a pas besoin mais dont on ne peut se passer.
L'addiction est un comportement... faut il l'encourager ?