Selon une étude de Symantec, un nombre croissant de groupes APT (Advanced Persistent Threat) exploitent les services de stockage dans le cloud proposés par Microsoft et Google pour en prendre le contrôle et exfiltrer des données. Si l'utilisation abusive de ces services gratuits par les cybercriminels n'est pas rare, de récentes preuves suggèrent que les groupes de cyberespionnage parrainés par des États sont de plus en plus nombreux à mener ce genre d’attaques. « Ces dernières semaines seulement, l'équipe de chasseurs de menaces de Symantec a identifié trois nouvelles opérations d'espionnage utilisant des services cloud et a trouvé des preuves de l'existence d'autres outils en cours de développement », ont déclaré les chercheurs de la division Symantec de Broadcom dans un billet de blog.
Leurs conclusions ont été présentées à la conférence sur la sécurité Black Hat USA organisée à Las Vegas L'utilisation abusive de services cloud gratuits présente des avantages évidents pour les attaquants, car non seulement ils offrent une solution rapide et peu coûteuse, mais surtout, ils permettent une communication plus furtive à l'intérieur des réseaux. En effet, la probabilité que les produits de sécurité ou les parefeux signalent comme suspectes les connexions à des services largement utilisés comme Microsoft OneDrive ou Google Drive, par rapport à une adresse IP en Chine, par exemple, est faible.
Des inconvénients pour l'attaquant, mais il y a des parades
Cette pratique présente aussi certains inconvénients importants. Tout d'abord, le compte cloud utilisé à des fins malveillantes sera suspendu dès que les chercheurs en sécurité l'auront identifié et signalé au fournisseur de services, ce qui risque de perturber l'opération. En comparaison, si des chercheurs découvrent un serveur de commande et de contrôle C2 privé, leur seule option est de partager son adresse IP afin qu'il puisse être bloqué par les produits et les équipes de sécurité. Mais l’opération prend du temps et toutes les victimes ne seront pas nécessairement protégées. Un compte cloud peut aussi fournir aux chercheurs une mine d'informations supplémentaires sur l'opération si le fournisseur de services coopère et partage les journaux d'activité du compte et tous les fichiers stockés à l'intérieur.
Cette divulgation peut compromettre la sécurité opérationnelle des attaquants, ce qui est un aspect important, en particulier pour les acteurs du cyberespionnage qui agissent pour le compte d’États-nations. Cependant, des solutions existent pour parer à ces inconvénients. Par exemple, les attaquants peuvent coder en dur dans leurs logiciels malveillants des canaux C2 de secours qui seront utilisés au cas où le canal principal, basé sur les services cloud, cesse soudainement de fonctionner. Ils peuvent aussi utiliser le chiffrement pour dissimuler leurs activités et les fichiers exfiltrés aux enquêteurs qui accèdent au compte du service cloud malveillant. Ces contre-mesures sont relativement courantes, ce qui rend l'utilisation abusive des services cloud par les APT beaucoup plus viable.
De nouveaux implants de malwares
Une menace capable de tirer parti des services Microsoft pour la commande et le contrôle C2 est apparue récemment sous forme de programme de porte dérobée appelé GoGra. Écrit dans le langage de programmation Go, ce programme a été déployé contre un média en Asie du Sud en novembre de l'année dernière. Selon l'équipe de Symantec, la porte dérobée pourrait être une évolution ou une réimplémentation d'une autre porte dérobée connue sous le nom de Graphon, écrite en .NET et attribuée à un groupe soutenu par un État-nation. Ce groupe, baptisé Harvester par Symantec, cible des entreprises d'Asie du Sud depuis 2021.
GoGra exploite l'API Microsoft Graph pour accéder au service de messagerie Outlook à l'aide de jetons d'accès OAuth pour un nom d'utilisateur appelé FNU LNU. La porte dérobée accède à la boîte aux lettres Outlook et lit les instructions des messages électroniques dont l'objet contient le mot « Input ». Cependant, le contenu des messages est chiffré avec AES-256 et le logiciel malveillant les déchiffre avec une clé codée en dur. « GoGra exécute des commandes via le flux d'entrée cmd.exe et prend en charge une commande supplémentaire nommée cd qui modifie le répertoire actif », ont expliqué les chercheurs de Symantec. « Après l'exécution d'une commande, il chiffre la sortie et l'envoie au même utilisateur avec l'objet Output ». Un deuxième implant de malware APT exploitant l'API Microsoft Graph, appelé Trojan.Grager, a été utilisé contre des entreprises de Taïwan, de Hong Kong et du Vietnam en avril. La porte dérobée a été distribuée via un programme d'installation trojanisé pour le gestionnaire d'archives 7-Zip, et elle utilise Microsoft OneDrive au lieu d'Outlook à des fins C2. La porte dérobée peut télécharger, téléverser et exécuter des fichiers et recueille des informations sur le système et la machine.
Des techniques similaires utilisées par de nombreux acteurs de la menace
Des liens présumés existent entre Grager et un groupe APT que l'équipe Mandiant de Google suit sous le nom de UNC5330, car le même programme d'installation de 7-Zip contenant des chevaux de Troie a également déposé une backdoor appelée Tonerjam, associée à ce groupe. Les chercheurs pensent que le groupe UNC5330 est un « acteur d'espionnage lié à la Chine ». Il ferait aussi partie des groupes qui ont exploité les appareils Ivanti Connect au début de l'année 2024. Une autre porte dérobée à plusieurs niveaux, appelée Onedrivetools ou Trojan.Ondritols, utilise aussi l'API Microsoft Graph pour télécharger une charge utile de deuxième niveau à partir de Microsoft OneDrive. Cette porte dérobée a été utilisée contre des entreprises de services IT aux États-Unis et en Europe.
Les chercheurs de Symantec ont également découvert en mai une menace appelée BirdyClient, utilisée contre une organisation ukrainienne qui utilise OneDrive comme serveur C2 via l'API Graph. Une autre nouvelle porte dérobée, baptisée MoonTag, qui semble toujours en cours de développement et téléchargée récemment sur VirusTotal, utilise l'API Microsoft Graph. Cette porte dérobée a probablement été créée par un acteur chinois et utilise des échantillons de code pour la communication avec l'API Graph précédemment partagés dans un groupe Google en langue chinoise. Certains groupes préfèrent Google Drive au service de stockage de fichiers de Microsoft. Par exemple, un outil d'exfiltration de données, jamais signalé jusque-là, a été utilisé contre une cible militaire en Asie du Sud-Est par un groupe de cyberespionnage connu sous le nom de Firefly. Cet outil, écrit en Python, recherchait sur l'ordinateur local des fichiers images au format jpg, puis les téléchargeait sur un compte Google Drive à l'aide d'un client Google Drive open source et d'un token codé en dur.
Par le passé, d'autres acteurs du cyberespionnage ont occasionnellement utilisé des services gratuits de stockage de fichiers dans le cloud à des fins de C2, notamment le groupe APT37 (Vedalia) affilié à la Corée du Nord en 2021, le groupe APT28 (Fancy Bear) affilié à la Russie en 2022 et le groupe APT15 (Nickel) affilié à la Chine en 2023. Cependant, selon les observations de Symantec, la quantité de menaces APT adoptant cette technique a nettement augmenté au cours de l'année écoulée. « Vu le nombre d'acteurs qui déploient aujourd’hui des attaques exploitant des services cloud, on peut penser que les acteurs de l'espionnage étudient clairement les menaces créées par d'autres groupes et cherchent à reproduire des techniques qui ont l’air de fonctionner », ont déclaré les chercheurs.
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