Lorsqu'une entreprise en acquiert une autre, c'est typiquement pour entrer sur un nouveau marché, gagner des parts sur son marché ou pour disposer d'une nouvelle technologie. Dans les trois cas, les systèmes d'information et les données qu'ils recèlent sont déterminants dans la réalisation de ces objectifs. « La plus grande erreur que font la plupart des entreprises lorsqu'elles recherchent des acquisitions, c'est de minimiser les investissements nécessaires pour rapprocher les organisations et réduire les coûts de la fonction IT afin d'obtenir des synergies », considère Mike Macrie, DSI du fabricant de jouets Melissa and Doug, qui a dû intégrer différentes acquisitions dans une précédente fonction.
La clé de la réussite, pour une équipe IT chargée d'intégrer l'organisation d'une entreprise rachetée, c'est d'identifier dès le départ les défis à relever, estime Lars Ewe, DSI de DTN, une société de services de données industrielles. « Je sais que cela peut paraître évident, mais souvent, ce n'est que lorsque les acquisitions sont faites que l'on réalise ensuite ce qui a été acheté, d'un point de vue technologique », constate-t-il. Pour Sudheesh Nair, CEO de ThoughtSpot, éditeur spécialisé en BI, c'est à leurs risques et périls que les entreprises excluent les dirigeants IT des négociations. « Si le DSI n'est pas impliqué, au moins dans les premières phases, les évaluations du temps nécessaire pour réunir les entreprises et pour moderniser peuvent être complètement fausses », met-il en garde.
Seuls 24% des DSI consultés de façon précoce
Malgré l'importance d'impliquer les DSI, seulement 24% des organisations les ont inclus dans la planification précédant la fusion. Par ailleurs, un nombre alarmant de dirigeants IT ont appris par la presse que leur entreprise procédait à un rachat, selon une étude universitaire de 2015 sur le rôle des DSI dans le succès des fusions et acquisitions. Sudheesh Nair comprend très bien pourquoi certains dirigeants d'entreprise veulent limiter le nombre de personnes mises dans la confidence. « Les fusions/acquisitions sont tellement compliquées et sensibles que l'on veut réduire au minimum le nombre de personnes impliquées dans la transaction. Toute fuite d'information pourrait risquer de faire échouer l'opération ou d'en augmenter le prix ». Pour autant, « il n'y a plus d'excuse pour que les DSI ne fassent pas partie des personnes se trouvant dans la pièce », affirme-t-il.
En dépit de cela, de nombreux DSI sont toujours exclus des négociations. Lars Ewe fut l'un d'entre eux, bien qu'il ait trouvé un moyen d'influencer la discussion en fournissant à ceux qui y participaient une liste de points importants à prendre en compte sur le versant technologique. « Si vous ne faites pas partie du processus, au moins vous y êtes représenté en indiquant aux parties prenantes de suivre cette liste de points à contrôler, de façon à ce que vous puissiez leur fournir ensuite une évaluation du coût de l'intégration », fait-il valoir.
Des questions pour le CEO
Lars Ewe n'est pas le seul à utiliser ce type de check-lists. Kevin Hunt, DSI de Spirit AeroSystems (industriel de l'aéronautique), le fait aussi. Dans sa liste, il s'enquiert par exemple de l'âge de l'infrastructure IT qu'apportera l'entreprise susceptible d'être rachetée. « Cela donne vraiment une idée de l'importance de l'investissement », selon lui. Et il demande aussi si l'équipe IT est interne à l'entreprise, s'il s'agit de sous-traitants ou si les ressources IT sont externalisées. Les compétences et talents doivent être également considérés. Avec l'acquisition, ce sont des personnes qui arrivent, tout autant que la technologie utilisée, souligne Lars Ewe. Il faut aussi comprendre les interdépendances des systèmes IT de l'entreprise cible. « Si vous voulez les intégrer aux vôtres, vous allez devoir les disséquer dans une certaine mesure », ajoute-t-il.
Tout en haut de la liste de Kevin Hunt, une évaluation de la cybersécurité va permettre de vérifier le caractère risqué de l'opération. Mike Macrie, de Melissa and Doug, a lui aussi entendu cette préoccupation de la part d'acheteurs qu'il a conseillés. « Ils sont très attentifs au profil de risques cyber », confirme-t-il. « Ils veulent s'assurer que l'investissement qu'ils font dans une entreprise ne sera pas terni par un grave incident de sécurité ».
S'il y a un problème IT, autant le savoir au plus tôt
Chez CD Baby, société de distribution de musique, le vice-président de l'IT, Tom Beohm, est impliqué assez tard dans les processus de fusion. « Cela arrive généralement sur mon bureau une fois que les travaux préparatoires ont été engagés », relate-t-il, « et mon travail consiste surtout à évaluer les détails de la pile technologique ». Il aimerait cependant être impliqué beaucoup plus tôt dans le processus. « L'un des principaux moteurs des fusions et acquisitions est souvent le potentiel de synergies, et la valeur que l'IT peut apporter dans ces conversations est de nuancer la capacité des technologies à réaliser ces synergies », indique-t-il. Pour l'instant, on ne l'a pas encore impliqué plus tôt dans le processus. « C'est un sujet dont j'ai parlé avec mon patron », précise-t-il. « Une partie de mon argumentaire était que notre entreprise, comme toutes les autres, est aujourd'hui une entreprise technologique et que la technologie doit être prise en compte pour réussir à long terme », souligne Tom Beohm.
Le Lu, DSI de One Workplace, a pour sa part gagné sa place à la table des pourparlers. « Je suis dans l'entreprise depuis longtemps, ses actionnaires sont donc à l'aise avec moi et ils discutent de ces sujets », expose-t-il. Lorsque la société californienne, spécialisée dans l'aménagement d'espaces de travail high tech, a envisagé d'acquérir une nouvelle concession à Seattle, Le Lu s'est rendu sur place pour participer au processus de vérification qui s'impose avant une transaction. S'il y a un problème informatique caché qui doit être résolu, « le plus tôt vous le saurez, le mieux ce sera, car cela vous reviendra vous heurter », prévient le DSI de One Workplace. « Il faudra le faire d'une manière ou d'une autre ».
Paul Lehair, directeur des investissements du fonds britannique AlbionVC, met toutefois en garde les DSI contre une implication trop précoce dans le processus de fusion. Si une direction a une stratégie d'acquisition active, il se peut que de nombreuses opérations envisagées ne se concrétisent jamais pour une raison ou une autre. « Vous ne voulez pas être constamment sollicité, mais une fois que l'affaire est engagée et qu'elle est examinée sérieusement, surtout s'il s'agit d'une acquisition assez importante, c'est à ce moment-là que vous voulez avoir l'avis de l'équipe technologique », indique-t-il.
Demander à être consulté
Alors comment les DSI peuvent-ils obtenir ce siège crucial à la table des négociations lorsque les conditions sont réunies ? Il suffit de le demander, selon Mike Macrie. « Asseyez-vous avec votre responsable des fusions/acquisitions, quel qu'il soit, et parlez de la valeur qui va être obtenue du point de vue de la synergie et de la croissance post-fusion, et du coût réel pour y parvenir », conseille le DSI de Melissa and Doug. « Si vous pouvez avoir cette conversation avec vos partenaires métiers, la plupart des DSI réussiront à se faire inviter à cette table », assure M. Macrie.
Et si tout le reste échoue, il faut opter pour la manière forte, avance de son côté Sudheesh Nair, DSI de ThoughtSpot, « Les DSI doivent se retirer s'ils ne se sentent pas valorisés », tranche-t-il. « Vous devez exiger un siège à la table. Si vous ne l'obtenez pas, vous devez aller voir ailleurs. Dans tous les secteurs, il y a des entreprises qui recherchent des DSI avant-gardistes ».
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