Selon Ted Ross, DSI de la ville de Los Angeles, l'époque où la productivité du travail hybride était fulgurante est révolue. Et il n'est pas le seul à le penser. « Les employés de l'agence IT de la ville de Los Angeles, qui ont été contraints de travailler à distance au début de la pandémie, ont été très efficaces », reconnaît Ted Ross. « Dès le début de la pandémie, le temps d'exécution des projets s'est accéléré 34 % », ajoute-t-il. Mais depuis, la productivité et l'innovation ont ralenti, en partie à cause d'un déficit de relations entre les équipes, autrefois en présentiel, mais également avec le recrutement de 45 nouveaux employés au sein de l'IT au cours de la dernière année, qui n'ont pas encore noué de relations. « Nous sommes très favorables au télétravail hybride », affirme Ted Ross. « Cependant, il faut trouver le bon équilibre entre ce qui peut être réalisé efficacement à distance et ce qui doit être fait au bureau », nuance-t-il. En réponse, Ted Ross a commencé à former les superviseurs pour qu'ils créent de telles relations et instaurent des « contrôles » numériques pour maintenir la productivité.
Nimesh Mehta, DSI de la compagnie d'assurance National Life, fait le même constat. Si son équipe IT a vu sa productivité augmenter de 26 % pendant la pandémie « parce que les gens n'avaient rien de mieux à faire que de travailler », le DSI observe désormais que la productivité a baissé. Il en va de même pour l'innovation. « Nous sommes une équipe qui aime travailler ensemble, apprécie le tableau blanc et la résolution de problèmes », souligne-t-il. « Quand j'ai demandé à mon équipe de citer une seule chose innovante que nous avions réellement réalisée pendant le Covid, non des idées passées que nous avions juste exécutées plus rapidement, il y a eu un silence de mort ».
La productivité hybride en baisse
Ce scénario est devenu familier pour de nombreux DSI. La productivité a nettement augmenté lors du passage au travail à distance, mais elle est désormais à la traîne par rapport à ce que souhaitent de nombreux dirigeants, d'où la question de savoir comment rester productif dans un contexte hybride. Selon les données du Bureau of Labor Statistics, au cours du premier semestre 2022, la productivité - la mesure de la quantité de biens et de services qu'un employé peut produire en une heure - a chuté à un niveau jamais enregistré depuis 1947. Quand on parle de productivité hybride dans le monde de la technologie et des services, le décalage entre la perception et la réalité de cette productivité peut souvent être élevé. Dans une récente enquête menée auprès de plus de 20 000 personnes, Microsoft a constaté que 87 % des employés se disent productifs au travail, alors que 12 % des dirigeants seulement sont convaincus que leurs employés sont productifs. L'entreprise a également analysé des milliards d'indicateurs de productivité anonymes provenant de ses produits et a constaté que, pour le travailleur moyen, les réunions, les discussions et le travail après les heures de travail et le week-end ont tous augmenté ces deux dernières années.
En effet, si certains types de tâches IT peuvent être effectués de manière productive depuis la maison, les tâches avec une dimension relationnelle - innovation, planification stratégique, établissement de relations avec les clients ou les parties prenantes - sont difficiles à réaliser à distance. Pour remettre les pendules à l'heure en termes de productivité et d'innovation, les entreprises font revenir leurs employés au bureau quelques jours par semaine, donnent aux chefs d'équipe une plus grande latitude pour gérer leurs propres équipes et rationalisent les outils de collaboration introduits à la hâte et en trop grand nombre pendant la pandémie, afin que la productivité puisse retrouver ses niveaux d'avant la crise sanitaire (voire les dépasser) et que l'innovation puisse reprendre le dessus.
Voici quelques exemples d'ajustements effectués par les dirigeants IT pour aider les dispositifs de travail hybride à mieux fonctionner dans leur entreprise.
Répartir la charge
Au cours de deux dernières années, l'entreprise d'ingénierie et de gestion de la construction TRC Companies n'a pas pu échapper aux effets de la Grande Démission. Au plus fort de la pandémie, Rob Petrone, vice-président de l'IT, avait l'impression de perdre un employé toutes les deux semaines. Pour aggraver les choses, « nous étions très dépendants de certaines personnes pour faire beaucoup de choses », de sorte que quand un employé quittait brusquement l'entreprise, « il fallait embaucher plusieurs personnes pour le remplacer », explique Rob Petrone. Avec le recul, confier trop de responsabilités à une seule personne, même si elle est très productive, « n'était pas la bonne approche », reconnaît le dirigeant IT. Ce dernier a donc réorganisé l'équipe et les responsabilités individuelles pour mieux équilibrer les charges de travail. En plus de combler les postes, il a également embauché du personnel IT supplémentaire cette année.
Faire appel à de l'aide extérieure
Quand c'est possible, TRC Companies maintient aussi sa productivité en renforçant son équipe IT avec des développeurs extérieurs à l'entreprise. En cas de besoin et pour certains projets, les managers IT peuvent faire appel à ces développeurs. De plus, « en leur confiant des missions et en récoltant leur feedback, ils peuvent acquérir de l'expérience en matière de développement et de gestion du travail », souligne Rob Petrone. Ce phénomène de « sourcing dynamique » est de plus en plus populaire ces derniers temps, car il permet aux départements IT de renforcer leur personnel en fonction des besoins.
Instaurer un temps de présence au bureau
Après plusieurs faux départs, de nombreux départements IT ont appliqué les directives de retour au bureau, du moins à temps partiel. « Le travail à distance a sa place, mais dans notre entreprise, c'est la culture qui rassemble les gens, et le travail à distance a entamé notre capital culturel », observe Nimesh Mehta. Aujourd'hui, les employés IT sont présents au bureau trois jours par semaine, du mardi au jeudi. Le DSI de National Life constate une forte augmentation de la collaboration, de l'innovation et de la résolution de problèmes. « Des choses qui nous auraient pris trois ou quatre mois à résoudre avec des appels Zoom ou des réunions Teams prennent désormais 20 minutes », note-t-il. L'obligation d'un temps de présence au bureau n'a pas été sans conséquences. Nimesh Mehta a perdu un peu moins de 2 % de ses employés IT, qui ne voulaient pas faire la navette. « J'ai dû les laisser partir en leur disant ; je vous apprécie beaucoup, mais ce n'est pas ainsi que nous fonctionnons », confie-t-il.
Transformer les chefs d'équipe en chefs d'orchestre
Selon Jonathan Pearce, responsable des stratégies RH chez Deloitte Consulting, les entreprises se rendent compte que le travail hybride dépend davantage de la façon dont les équipes travaillent, pas seulement de ce qui convient à l'organisation ou à l'individu. Ainsi, de plus en plus d'entreprises demandent à leurs chefs d'équipe de décider comment ils veulent que le travail soit effectué et ils les tiennent pour responsables des performances et des récompenses de leur équipe. « Nous attendons de plus en plus des managers qu'ils discutent ouvertement avec leurs équipes sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas sur le plan de la communication, qu'ils fixent des délais de réponse et décident de la manière de se réunir quand il faut de la collaboration », indique Jonathan Pearce. « La question est désormais de savoir comment aider ces managers à monter en puissance, en n'étant pas seulement des gestionnaires du travail, mais aussi les chefs d'orchestre d'un environnement d'équipe plus complexe », ajoute Jonathan Pearce. « Les bons managers rendent le travail plus agréable pour leurs équipes, sont mieux à même d'identifier et d'utiliser les points forts de chaque employé et aident ces derniers à acquérir les compétences et l'expérience dont ils ont besoin pour développer leur carrière et être plus productifs », résume-t-il.
Rationaliser les outils de collaboration
Pendant la pandémie, les entreprises ont opté pour le télétravail afin de pallier les restrictions interdisant les réunions en présentiel. Aujourd'hui, elles continuent à mettre en place des politiques de travail à distance. Pour aider les travailleurs à accomplir leur travail, elles ont été amenées à introduire de nombreux outils de collaboration. Mais Eric Johnson, vice-président exécutif et DSI de Momentive, ne pense pas que ces technologies apportent tous les avantages escomptés. « L'objectif des outils de collaboration est d'aider les employés à être plus efficaces, plus engagés et à mieux travailler. Mais en essayant de répondre à tous les cas d'usage imaginables, ces outils ont nui à l'efficacité, car il faut passer d'un outil à l'autre pour faire son travail », explique Eric Johnson. Selon Gartner, en 2021, près de 80 % des employés utilisaient des outils de collaboration dans le cadre de leur travail, contre environ 50 % en 2019, soit une augmentation de 44 %. Désormais, les dirigeants IT prennent des mesures pour limiter ces outils et rationaliser le travail. « La ville de Los Angeles a opté pour des outils et des méthodes standardisés, ce qui présente selon nous certains avantages », confie Ted Ross. « Mais je suis sûr que certaines équipes ont encore leurs propres solutions. Maintenant que le navire flotte, il s'agit de gagner en efficacité et d'améliorer certaines de ces opérations », poursuit-il.
Au départ, la ville utilisait une multitude de solutions de gestion de projet et d'affectation des tâches. « Aujourd'hui, elle a centralisé ses efforts sur Google Workspace et Google Suite », indique Ted Ross. À long terme, ce dernier pense que davantage de travail se fera au bureau, mais il est convaincu que le télétravail va perdurer. « Le travail hybride peut être très efficace et on peut l'organiser de manière à le rendre performant et durable, car les employés y trouvent en partie l'équilibre entre travail et vie privée qu'ils espéraient », ajoute Ted Ross. « Beaucoup de gens avaient l'impression que leur mode de vie n'était pas soutenable avant le Covid. Désormais, la balance s'est stabilisée à un niveau raisonnable. Les outils numériques nous permettent de travailler à distance, mais pour avoir une relation de travail à long terme, il y a certaines choses que nous voulons faire en étant présents au même endroit, lorsque nous élaborons nos stratégies, que nous faisons du mentorat. Je pense que c'est sur ces choses-là que devront porter nos efforts ».
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