Compte tenu du rôle important des applications logicielles dans les processus d'entreprise et de la pénurie de programmeurs expérimentés, il n'est pas surprenant que le développement métier (aussi appelé en anglais citizen development) soit en plein essor. Ces développeurs au sein des métiers créent de nouvelles applications ou modifient des applications existantes sans avoir besoin de l'aide du département IT ou des équipes de développement. Disposer de ces profils pour fournir une aide tactique lorsque les développeurs professionnels ne sont pas disponibles est une chose, mais c'en est une autre de permettre à ces utilisateurs métiers d'avoir un impact réel sur l'entreprise grâce à leurs efforts de développement.
« Il est important de noter que les avantages associés aux développeurs citoyens concernent l'amélioration de la productivité, et non l'idée fausse selon laquelle une entreprise pourrait réduire ses dépenses en estimant pouvoir se passer de développeurs professionnels coûteux », pointe Adrian Leow, vice-président et analyste au sein du cabinet d'études Gartner. Selon M. Leow. Ces utilisateurs se concentreront pour la plupart sur des cas d'usage qui ne requièrent pas un niveau de complexité élevé. Par exemple, la création de formulaires web et mobiles pour les employés, les partenaires ou les clients ; l'automatisation des flux de travail personnels ou à l'échelle de leur service ; la connexion de données et contenus à travers des applications SaaS ou encore la création de rapports et de visualisations de données au sein d'une plateforme pour aider à la productivité.
En donnant aux développeurs au sein des métiers les moyens d'agir, les DSI peuvent obtenir plusieurs avantages, notamment une amélioration de l'efficacité, de l'efficience et de l'agilité de l'entreprise, explique Adrian Leow. « Avec les technologies low-code appropriées, les développeurs citoyens peuvent développer, automatiser et intégrer des processus sans aucune implication directe de l'IT », explique-t-il. « Lorsque ces utilisateurs ont accès à des outils intuitifs en libre-service, ils peuvent élaborer de manière indépendante des solutions pour résoudre les problèmes de processus à leur niveau, celui de leur équipe ou de leur département. Par conséquent, ils peuvent accélérer l'hyperautomatisation des métiers ».
Le développement au sein des métiers facilite également la démocratisation des technologies de l'information et la prise d'autonomie avec celles-ci. « Les salariés sont de plus en plus au fait des technologies, et de nombreux jeunes travailleurs souhaitent développer leurs propres applications », explique Adrian Leow. Lorsque les employés ont leur mot à dire dans la conception de leurs applications, ils sont plus productifs.
Enfin, ce type de développement réduit la charge de travail des professionnels IT. « En favorisant l'autonomie au sein des unités métiers, les responsables de l'ingénierie logicielle peuvent réduire la charge de travail qui incomberait autrement à leurs ingénieurs, ce qui leur permet de se concentrer sur des projets plus stratégiques, qui correspondent mieux à leurs compétences », explique Adrian Leow. « Les talents en matière d'ingénierie logicielle sont rares et précieux, et cela aidera également les entreprises à combler le manque de ressources. »
Construire plus rapidement des solutions utiles
Chez Chevron, groupe du secteur de l'énergie, ce type de développement a joué un rôle important dans la transition vers l'entreprise numérique. « Au cours des six dernières années, Chevron a développé une communauté de plus de 2 500 développeurs issus de pratiquement toutes les disciplines et organisations de notre entreprise mondiale - des nouvelles énergies aux fonctions pétro-techniques, en passant par la fabrication et toutes les fonctions du siège », telles que les ressources humaines, le service juridique et les affaires générales, explique Bill Braun, directeur des technologies de l'information. « Nous avons fait en sorte qu'il soit facile pour chacun de développer des solutions de manière responsable, quel que soit son niveau de compétence technique, ce qui signifie donner les outils et les ressources nécessaires pour suivre la discipline de l'ingénierie logicielle sans même s'en rendre compte », relate le dirigeant. L'entreprise a adopté très tôt Microsoft Power Platform, qui a fourni des capacités indispensables aux développeurs citoyens selon le responsable. Aujourd'hui, celui-ci continue à travailler étroitement avec Microsoft pour faire progresser les fonctionnalités dans de nouveaux domaines.
« Les programmes traditionnels de formation ne suffisent pas sur un tel sujet », estime M. Braun. « Nous encourageons nos employés à commencer par un cas d'utilisation solide - une opportunité claire qui n'est pas encore prise en compte par notre portefeuille d'applications. Nous les soutenons ensuite dans le cadre d'un programme de quatre mois qui allie enseignement et accompagnement pratique. » Les développeurs au sein des métiers créent des applications tout en apprenant de nouvelles techniques de résolution de problèmes, des façons de décomposer les complexités et d'enseigner aux autres, explique Bill Braun. « Le véritable succès, c'est l'impact qu'ils ont en sortant de nos programmes, en encadrant d'autres personnes et en construisant de nombreuses solutions au fil du temps », ajoute-t-il.
Ces profils « sont un multiplicateur de force lorsqu'il s'agit de développer rapidement des solutions qui ne sont pas déjà fournies par notre portefeuille d'applications », affirme le dirigeant. « Leur forte proximité avec le métier fait d'eux les mieux placés pour comprendre rapidement les opportunités, les paramètres, les exigences en matière de données et l'expérience de l'utilisateur », explique-t-il. « Souvent, il s'agit de solutions de niche ou qui sont nécessaires pour répondre rapidement à une situation en évolution. » Par exemple, lorsque des inondations soudaines ont touché certaines habitations des employés de Chevron en Afrique, l'un des développeurs de l'entreprise a rapidement créé un outil dynamique qui a permis de signaler rapidement les dommages et de suivre la résolution des problèmes. « Ces solutions peuvent également constituer une première étape importante dans le remplacement des processus manuels, basés sur le papier », pointe le responsable. « Un autre exemple nous vient de notre équipe logistique, où un développeur a conçu un outil permettant aux opérateurs de chariots élévateurs de calculer la masse brute vérifiée des produits exportés. Cela a grandement facilité la sélection des produits, le calcul automatique de la masse brute vérifiée et l'envoi des informations nécessaires directement aux coordinateurs chargés de l'export pour traitement. »
Il ne s'agit pas de shadow IT, note Bill Braun. « Il s'agit de brouiller délibérément les frontières entre le métier et l'IT afin d'accélérer les progrès », précise-t-il. « De plus, en dotant les développeurs métiers d'outils de base pour élaborer rapidement des solutions, nous fournissons également à notre organisation informatique des données télémétriques qui mettent en évidence les cas d'utilisation et les tendances, afin d'établir nos feuilles de route IT sur la base de meilleures informations ».
Créer une armée de data scientists au sein des métiers
Le Chief Data Office (CDO) de l'opérateur de télécommunications AT&T sert de point de repère pour les sujets liés aux données, à l'analyse et à l'intelligence artificielle (IA). Il agit également comme un catalyseur pour diffuser des capacités réutilisables dans l'ensemble de l'entreprise, afin de favoriser une prise de décision davantage axée sur les données à tous les niveaux de l'organisation, selon Mark Austin, vice-président de la data science chez AT&T. « Nous avons permis aux responsables métiers d'accéder en libre-service à des ensembles de données offrant une 'version unique de la vérité', à l'aide d'outils de veille stratégique », explique-t-il. « Nous étendons également les capacités low code et no code de création d'IA à l'ensemble de l'entreprise. Cela permet à un plus grand nombre de talents analytiques, au-delà de la cohorte qui maîtrise le code chez AT&T, de créer des solutions d'IA optimisées et responsables. »
En s'appuyant sur les outils et services d'automatisation et de gestion des données de divers fournisseurs, notamment Microsoft et Databricks, le CDO d'AT&T s'est concentré sur le développement des compétences analytiques et la formation des employés afin de mobiliser ce segment plus large de talents analytiques qu'il appelle les « data scientists citoyens ». « Nous révolutionnons la manière dont les employés d'AT&T naviguent dans le cycle de vie des données et de l'intelligence artificielle, depuis la recherche et l'obtention des données jusqu'à l'ingénierie des données pour l'apprentissage automatique, en passant par la création, le déploiement, la surveillance et la gestion des modèles d'apprentissage automatique utilisés dans l'intelligence artificielle », détaille Mark Austin.
En conséquence, les 300 data scientists professionnels d'AT&T sont désormais largement dépassés en nombre par les 3 000 data scientists, issus de l'ensemble de l'entreprise et présents dans presque tous les services. « Ils déploient et utilisent l'IA dans tous les domaines, des campagnes de marketing à la conception et à la gestion des réseaux, en passant par le calcul des itinéraires les plus efficaces pour les techniciens qui se rendent sur la route pour servir nos clients », illustre Mark Austin. L'association de scientifiques professionnels des données et de développeurs citoyens « a été incroyablement puissante », affirme le CDO. « Au cours de l'année écoulée, AT&T a tiré de l'IA une valeur commerciale de 3,1 milliards de dollars, comprenant à la fois des économies de coûts et des revenus supplémentaires provenant de produits et services améliorés par l'IA », précise-t-il. « Cela représente une augmentation de 24 % par rapport à l'année précédente, et nous nous attendons à ce que ce taux de croissance augmente. »
Rendre autonomes employés et clients
MDaudit, un fournisseur de logiciels pour le secteur de la santé, utilise la plateforme d'analyse alimentée par l'IA Thoughtspot Everywhere pour permettre aux utilisateurs non techniques de contribuer à la création de tableaux de bord afin de mieux répondre aux besoins de leurs équipes. Par exemple, l'équipe de gestion des produits de MDaudit, qui comprend plus de 10 développeurs non IT, a créé un contenu adapté aux clients du secteur de la santé sur la base de personas, explique Ritesh Ramesh, DG de MDaudit. « Ces personas comprennent les dirigeants, les responsables fonctionnels et les employés opérationnels qui sont à l'origine des résultats en matière de conformité, de codage des données et d'intégrité des revenus », explique le dirigeant.
En plus de ses équipes internes, MDaudit a permis aux développeurs métiers des organisations clientes de créer leurs propres tableaux de bord et analyses grâce au modèle de libre-service de MDaudit. « Notre solution permet aux cadres du secteur de la santé de mesurer la productivité de leurs équipes, ainsi que les mesures de performance et les résultats en matière de conformité et de risques sur les revenus », explique Ritesh Ramesh.
L'approche qui consiste à fournir des informations sélectionnées et un développement en libre-service à la base de clients a accéléré la capacité de ces derniers à mettre des informations entre les mains des utilisateurs à tous les niveaux et au bon moment, afin qu'ils puissent prendre des décisions en temps réel, explique M. Ramesh. Par exemple, l'un des clients de MDaudit compte 15 000 prestataires et cherche à obtenir des informations pour surveiller en permanence les prestataires à risque, de façon à les auditer presque chaque semaine. « Les analyses que nous avons fournies [par le biais du développement citoyen] aident ses équipes à le faire. »
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