Généralement associés aux startups et aux petites équipes de développeurs, les hackathons sont de plus en plus populaires auprès des DSI des entreprises, qui y voient un moyen de relancer l'innovation. Mais s'assurer qu'un hackathon produit une valeur tangible pour l'entreprise reste difficile.

Tout commence par établir une justification valable pour l'organisation d'un hackathon. Surfer sur la mode ou espérer obtenir des résultats vaguement définis par les dirigeants ne sauraient suffire. Il faut des raisons tangibles et légitimes de le faire. Rock Tsai, DSI de Taiwan Mobile, l'un des principaux opérateurs de télécommunications de Taiwan, estime que les hackathons encouragent l'innovation, en particulier au sein de la DSI, qui peut parfois se révéler un frein en la matière plutôt qu'un accélérateur.

« C'était le cas dans notre entreprise. Il y a peut-être plusieurs années, lorsqu'un métier demandait de l'aide pour de nouveaux services ou de nouveaux processus innovants, l'équipe IT répondait souvent que ça ne figurait pas dans le plan, qu'il n'y avait pas de compétences, pas de budget ou que ce n'était pas faisable. En fait, nous voulons susciter la passion de l'innovation chez les informaticiens par le biais de hackathons », explique le DSI.

Hackaton "inside-out" ou "outside-in"

Ce type de hackathon est ce que Rock Tsai appelle un hackathon "inside-out", c'est-à-dire un hackathon réservé au personnel IT. Il s'oppose au hackathon "outside-in", plus courant, qui implique la participation de toute l'entreprise et adopte le point de vue du client comme fil conducteur.

Bien que chaque approche ait ses avantages - Taiwan Mobile organise les deux -, Rock Tsai explique que le hackathon interne peut renforcer l'adhésion de l'équipe informatique. Par exemple, Taiwan Mobile a récemment organisé un hackathon sur l'IA pour permettre aux développeurs de s'approprier le projet grâce à un simple constat lié à la nature humaine : « Les gens croient toujours à l'idée qu'ils ont eux-mêmes proposé », souligne le DSI. Ce dernier estime que ce soutien des développeurs persistera même si l'idée évolue ou que sa mise en oeuvre change inévitablement la nature de la proposition de départ. « Comme les informaticiens ont déjà été motivés pour innover, ils croiront vraiment au changement », veut croire Rock Tsai.

1) Soyez précis, sur la technologie et le cas d'usage

Même si les organisations disposent d'une base solide pour organiser un hackathon, elles ne doivent pas en faire un événement à durée indéterminée et trop ouvert. Leah Balter, DSI et responsable de la transformation chez Bunnings, un détaillant de produits de bricolage en Australie, a été confronté à la problématique : « lorsque nous avons opté pour une approche plus large - où l'on pouvait travailler sur n'importe quel sujet -, nous avons constaté que cela ne fonctionnait pas très bien ».

La DSI explique que la plupart des idées issues de ces hackathons très généraux n'étaient pas prêtes pour passer en production. « Il y avait des concepts intéressants, mais rien que nous puissions déployer en tant qu'entreprise [pour apporter] un impact métier majeur [lors de] la mise en oeuvre », tranche-t-elle. Leah Balter recommande des hackathons axés sur une technologie spécifique, un cas d'utilisation précis ou les deux, comme dans le cas du dernier hackathon de Bunnings, qui visait à tirer parti de l'IA générative pour améliorer la productivité ou les ventes.


« En l'espace de deux heures, 25 idées m'ont été présentées, ce qui m'a vraiment fait réfléchir : il me fallait isoler les 10 meilleures idées que nous devrions mettre en oeuvre, et ce dans les trois prochains mois », explique la DSI. L'une des idées gagnantes utilisait l'IA générative pour rationaliser le processus d'apprentissage des projets domestiques de bricolage. Plutôt que de passer au crible des dizaines de vidéos, cet outil propose des extraits et des conseils adaptés aux produits que la personne a placé dans son panier et peut même prendre en compte les articles qu'elle possède déjà. Cet outil est une nouvelle application de l'IA générative (un des critères de jugement officiels du hackathon en question) et pourrait également augmenter les ventes.

Le thème du hackathon de Taiwan Mobile s'articulait lui aussi autour d'une technologie et d'un cas d'utilisation précis. Selon Rock Tsai, les développeurs devaient proposer des idées pour intégrer l'IA dans les systèmes IT.

Leah Balter conseille aux DSI d'envisager d'organiser des hackathons thématiques pour obtenir cette concentration d'idées. « Si nous n'avions pas organisé de hackathon, il aurait fallu des mois et des mois de travail sur la stratégie, explique-t-elle. Ensuite, nous nous serions demandé ce que nous allions faire et comment le financer. Le hackathon a été un excellent moyen d'accélérer l'ensemble du processus et d'obtenir les meilleures idées ».

2) Mélanger les équipes pour de meilleurs résultats

Le nom même de "hackathon" implique que les participants doivent être des "hackers", c'est-à-dire des techniciens, généralement des développeurs et des designers, dotés d'un talent certain pour résoudre les problèmes. Si cette définition est valable pour les hackathons traditionnels, ceux qui sont organisés au sein des entreprises devraient inviter un plus large éventail de participants.

Bien que la notion de 'personnes sources d'idées nouvelles' soit généralement mal accueillie par les techniciens, Aran Azarzar, DSI de JFrog, un fabricant de plateformes DevOps et DevSecOps dont les sièges sont situés à Sunnyvale, en Californie, et en Israël, affirme que c'est précisément pour cette raison que les hackathons sont bénéfiques. « Chaque groupe devrait avoir des personnes non techniques, des personnes perturbatrices pour proposer des idées neuves s'affranchissant des barrières techniques que les développeurs ont à l'esprit », explique le DSI.

Aran Azarzar affirme que les meilleures idées proviennent de ces personnes non techniques. Malheureusement, elles sont rarement volontaires pour participer à un hackaton, souligne-t-il, et les responsables informatiques doivent donc être proactifs et les solliciter lorsqu'ils organisent ce type d'événement. « C'est un défi car tout le monde ne comprend pas leur valeur. Il faut identifier ces personnes à l'avance et savoir où les placer », explique le DSI.

3) Susciter l'engouement

Pour mettre cette stratégie en pratique, les organisations ne peuvent pas simplement décider d'organiser un hackathon et espérer que l'esprit de collaboration rassemblera tout le monde. Selon Aran Azarzar, un responsable doit prendre en charge l'événement de bout en bout, de la gestion des installations et de l'idéation à la formation des équipes et à la compétition proprement dite.

Leah Balter, de Bunnings, cherche aussi activement à obtenir la participation de l'ensemble de l'entreprise lors de ses hackathons, ce qui passe par le biais de communications internes. Bunnings lance ainsi une campagne sur des canaux en ligne, tels que son espace de travail sur les médias sociaux, et des canaux hors ligne, tels que des bannières et des affiches dans les bureaux. L'imagerie sur tous les supports met l'accent sur les personnes qui se réunissent pour créer. « Il s'agit de montrer la collaboration entre départements : les membres de différentes équipes qui travaillent ensemble », explique la DSI.

Chez JFrog, Aran Azarzar apporte le même soin à la communication interne autour des hackathons maison. Au lieu d'annoncer tous les détails de l'événement en même temps, l'entreprise diffuse les informations au compte-gouttes, comme les teasers d'un film hollywoodien. Elle commence par annoncer l'événement de manière générale, puis, quelques jours plus tard, elle donne plus de détails dans le cadre d'une présentation, jusqu'à ce que toute la portée et les mécanismes de l'événement soient divulgués. Selon le DSI, cette approche crée un engouement au sein de l'entreprise. « Si vous dévoilez lentement la compétition, vous touchez la curiosité des collaborateurs. Cela leur donne envie d'y participer », explique-t-il.

La collaboration multidisciplinaire est également cruciale pour les hackathons de Rock Tsai. Si les hackathons "inside-out" sont conçus pour accélérer l'adhésion des développeurs, les hackathons "outside-in" ont pour objectif plus large d'adopter le point de vue du client. Pour ce faire, des équipes de toute l'entreprise doivent participer, y compris celles qui ont des contacts fréquents avec les clients, comme le marketing ou les commerciaux. « Ce qu'ils doivent proposer, ce sont de nouveaux services ou de nouveaux produits pour l'entreprise », explique le DSI à propos de l'objectif final.

4) Le succès commence... après le hackathon

Comme les conférences professionnelles, les hackathons sont des événements passionnants qui peuvent s'essouffler une fois terminés. Les idées brillantes peuvent rester à l'état de prototype ou de pitch deck. L'équipe multidisciplinaire, qui s'est si bien entendue pendant 48 heures, peut ensuite se résumer à des salutations dans les couloirs. Les juges, qui ont soigneusement sélectionné les gagnants, risquent de retourner à leurs occupations et ne plus jamais penser aux résultats du hackathon.

Pour que les hackathons réussissent, une continuité entre l'événement et la réalité métier de l'organisation doit s'installer. Cette continuité doit commencer par le choix des juges. Une option populaire consiste à parachuter des stars de la technologie, externes à l'entreprise, ou à ne faire appel qu'aux leaders techniques de l'organisation. A rebours de ces approches, Leah Balter estime que les cadres dirigeants devraient participer largement au jury. Par exemple, la DSI de Bunnings était l'un des trois cadres dirigeants à faire partie du jury du dernier hackathon de l'enseigne, récemment achevé. Selon Leah Balter, la présence des dirigeants n'est pas seulement une question de perspective, mais vise à transmettre un message plus profond aux participants. « Ils doivent présenter leur idée à des dirigeants, dit-elle. Et, de mon côté, je m'engage à financer et à mettre en production l'idée gagnante ou les deux meilleures idées. »

La DSI explique que les gagnants de leur dernier hackathon ont reçu des billets de cinéma, ainsi que des packs de nourriture et de boissons. Le prix permet également d'avancer l'idée que l'équipe a franchi une étape importante sur un chemin plus long. « Ce genre de prix est approprié parce qu'ils ont à la fois la reconnaissance d'être les gagnants d'une compétition, mais il permet aussi à l'équipe - et aux partenaires et familles de ses membres - de sortir et fêter cela », dit-elle.

Aran Azarzar explique que les idées gagnantes chez JFrog sont examinées à la loupe sur la base d'une large liste d'exigences. Est-elle suffisamment solide pour passer à l'échelle ? Est-elle suffisamment pertinente ou créative ? Y a-t-il suffisamment de personnes pour la supporter en production ? Et si c'est le cas, ont-elles envie de le faire ? « Il y a tellement de facteurs à réunir avant de passer à la production, mais s'il s'agit de résoudre un vrai problème, le projet ira jusqu'à cette étape », explique-t-il.

Rock Tsai a modifié le calendrier des hackathons de Taiwan Mobile pour améliorer la continuité après ces événements. « Nous avons aligné les hackathons sur le cycle de planification annuel afin que les propositions gagnantes puissent être financées dans le prochain budget annuel », détaille-t-il. Le DSI explique que les équipes gagnantes reçoivent un budget provisoire pour le développement initial et la planification des activités. À l'issue de cet exercice, elles peuvent soumettre une proposition à l'équipe de planification afin d'obtenir un budget encore plus important.

Outre le financement, les membres de l'équipe peuvent également voir une partie de leur temps dédiée à la réalisation de leur idée. Comme un certain nombre d'heures de travail, avec l'approbation de leur supérieur hiérarchique. Leah Balter adopte une approche similaire chez Bunnings en alignant les hackathons sur le cycle de planification IT. « L'idée gagnante est directement intégrée dans le planning trimestriel afin que nous puissions nous assurer qu'elle est mise en oeuvre. L'équipe sait ainsi qu'elle n'aura pas à produire une analyse de rentabilité », explique-t-elle.

Investir dans des propositions gagnantes peut enclencher un cercle vertueux. En plus de la mise en oeuvre en question, ce soutien permettra d'attirer et de retenir des développeurs talentueux qui souhaitent travailler sur des projets passionnants. « Cela leur montre que nous nous concentrons constamment sur l'innovation. Nous ne nous contentons donc pas du business as usual - nous sommes toujours à la recherche d'un nouvel horizon d'idées qui aideront l'entreprise à progresser et la feront pivoter », souligne Leah Balter.

Soutenir les propositions de hackathon favorise également la collaboration et la culture autour de la résolution de problèmes au sein de l'organisation. Aran Azarzar donne deux motivations essentielles qui doivent pousser les DSI à organiser ce type d'événement : « Premièrement, si vous avez un vrai problème à résoudre rapidement et que vous voulez que tout le monde s'y mette. Deuxièmement, lorsque vous voulez encourager l'innovation au sein de l'organisation. »

5) Transformer la culture interne

Le point soulevé par le DSI de JFrog concernant l'encouragement de l'innovation mérite d'être analysé plus en détail. La plupart des professionnels considèrent les hackathons comme une activité créant de l'innovation. Plus rares sont les professionnels qui y voient un moyen de créer une culture de l'innovation.

L'expérience de Rock Tsai à Taiwan Mobile donne pourtant du crédit à cette idée. Depuis le début des hackathons au sein de l'opérateur, il a vu la culture s'améliorer d'année en année. Bien que l'entreprise ait lancé de nombreux produits et améliorations grâce aux hackathons, il pense que le véritable avantage réside dans le changement plus profond de la posture des employés, qui les incite à proposer davantage d'idées, même lorsqu'aucun prix n'est en jeu. « Le véritable bénéfice réside dans le changement d'état d'esprit des employés... ils réalisent qu'ils peuvent innover dans le cadre de leur travail quotidien. »