Pour Ylva Johansson le 10 novembre 2024 devait être un grand jour. En août dernier, la Commissaire européenne aux Affaires intérieures était en effet emplie d'espoir et d'enthousiasme en annonçant lors d'un discours à l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (EU-LISA), l'arrivée du système européen d'identification (Entry/Exit System ou EES). Son but ? Ni plus ni moins remplacer les tampons apposés sur les passeports des voyageurs non citoyens européens à chaque entrée et sortie des frontières extérieures de l'espace Schengen, par de l'identification biométrique via reconnaissance faciale et empreintes digitales. Ce projet ne date pas d'hier, il est en fait dans les tuyaux depuis 2014. "Nous saurons exactement qui entre dans l'espace Schengen avec un passeport étranger. Nous saurons si les gens restent trop longtemps et lutter contre l'immigration irrégulière. Le système d'entrée/sortie rendra plus difficile l'utilisation de faux passeports par les criminels, les terroristes ou les espions russes", assurait Ylva Johansson.

Mais patatras : en octobre dernier, la commissaire a été contrainte de faire machine-arrière en prenant acte que la France, l'Allemagne et les Pays-Bas lui avaient signifié qu'ils n'étaient pas prêts à mettre en oeuvre l'EES, faute d'avoir pu mener dans les temps un ensemble de tests et de vérifications nécessaires à son implémentation. Ce n'est pas la première fois que ce système avait été décalé : initialement il devait être opéré l'été dernier mais avait déjà été une première fois replanifié au 6 octobre avant d'être repoussé d'un peu plus d'un mois. Désormais, le démarrage de l'EES est prévu en 2025. 

Un consortium à trois têtes derrière l'EES

Si Ylva Johansson a pris soin de ne pas commenter les raisons de ce retard à l'allumage, en coulisses les langues se sont cependant déliées. Dans le coeur du réacteur de ce système européen d'identification, on trouve un consortium de trois entreprises ayant remporté ce contrat à 142 M€ en 2019 : IBM, Leonardo et AtoS qui aurait une part de responsabilité dans les difficultés de l'EES à sortir de terre. Selon des documents qu'a pu consulter Bloomberg, la SSII française "a effectivement ralenti les travaux en n'installant que partiellement les équipements, en égarant des pièces, en prenant des semaines pour corriger les bogues et en envoyant souvent des équipes manquant d'expérience, ce qui a conduit à des délais non respectés et à des millions d'euros de coûts de maintenance supplémentaires". Ces affirmations ont été corroborées par trois personnes impliquées dans le projet selon notre confrère. Pour un ancien responsable exécutif d'Atos ayant souhaité rester anonyme, la SSII française serait en charge des deux-tiers de ce projet.

"Publiquement, l'UE a imputé le retard [de l'EES] à des problèmes techniques et à des retards de fournisseurs. Pourtant, les documents décrivent une situation beaucoup plus tendue et chaotique, corroborée par des personnes impliquées dans le contrat, qui ont demandé à ne pas être identifiées", poursuit Bloomberg. "Dans un cas, le consortium aurait mis plus de six semaines pour déployer une seule équipe de mise en service chargée de la correction des bogues [...] le consortium n'a pas respecté les délais, a effectué des installations partielles et/ou a mélangé les sites de livraison." Parmi les problèmes recensés on trouverait aussi bien des câbles manquants que des équipements mal configurés, des marchandises renvoyées à la frontière faute de documents de livraison... D'après l'ancien cadre d'Atos interrogé par Bloomberg "la société avait mal géré le projet EES" et ce dernier aurait signalé à son directeur général qu'il nécessitait "une supervision plus attentive." Deux fonctionnaires de l'EU-LISA auraient confirmé ce point de vue, déclarant "Atos pour principal responsable."

Contacté par la rédaction, Atos nous a indiqué qu'"en raison d'obligations de confidentialité envers eu-LISA, Atos n'est pas en mesure de répondre aux questions."