Le Cigref, association de grandes entreprises et administrations françaises utilisatrices du numérique, s'est associé au CISPE (Cloud Infrastructure Services Providers in Europe), club de fournisseurs de services cloud européens, afin de promouvoir des pratiques de licences loyales pour les clients utilisant le cloud. Dans ce but, les deux partenaires ont dévoilé le 13 avril 2021 une charte de dix principes, également défendue par d'autres associations d'utilisateurs européennes comme le Beltug ou la Dutch Cloud Community - ISP Connect.
« Notre motivation a toujours été d'établir des relations commerciales équilibrées avec nos partenaires, en s'appuyant sur le dialogue », a rappelé Bernard Duverneuil, président du Cigref, en introduction. Soulignant que le cloud est un véritable catalyseur pour l'innovation numérique, il déplore une tendance des grands acteurs du monde logiciel à reporter dans le cloud certaines pratiques illégitimes, qui entravent la capacité d'innovation des clients, grandes entreprises comme PME. « Nous souhaitons que le marché du cloud se développe autour de principes loyaux, aussi bien dans l'intérêt des clients que des fournisseurs », affirme le président du Cigref. Cette volonté d'introduire plus d'équité dans le marché répond également à un intérêt plus général, la défense de l'indépendance et de la souveraineté européenne. Philippe Rouaud, président du club relations fournisseurs du Cigref et DSI de France Télévisions, lui a ensuite succédé pour détailler les enjeux adressés par la charte. « Nous sommes à un tournant : dans un monde où les modèles économiques sont de plus en plus basés sur le cloud, il est anormal que persistent des pratiques déloyales, qui restreignent le choix des clients en matière de fournisseurs de cloud. » Il évoque par exemple le fait de devoir repayer un logiciel qu'une entreprise possédait déjà pour l'utiliser dans le cloud, ou des tarifications différentes d'un même logiciel selon le fournisseur de cloud choisi. Ces pratiques ont des effets néfastes : non seulement elles limitent le choix, mais elles retardent également l'innovation interne chez les clients. Enfin, elles enferment ces derniers dans des écosystèmes développés pour les grands éditeurs historiques.
Engager une démarche vertueuse
La charte proposée, lancée sous le haut patronage de Cédric O, secrétaire d'État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, vise à rétablir un certain équilibre. « Il s'agit de fédérer les bonnes volontés afin d'engager une démarche vertueuse, sur un marché où la relation client/fournisseur est fondamentalement déséquilibrée », pointe Philippe Rouaud. Elle comprend dix principes, articulés autour de quatre grands enjeux : l'optimisation des coûts, la transparence, l'interopérabilité et la bienveillance. Pour permettre aux clients de maîtriser leurs coûts, la charte défend ainsi le droit des clients à utiliser dans le cloud des logiciels préalablement acquis ; la liberté d'utiliser un logiciel chez le fournisseur cloud de leur choix ; leur droit à utiliser le matériel informatique de leur choix ; une égalité de traitement concernant les redevances logicielles sur le cloud ainsi que des licences permettant la revente équitable de logiciels. Afin de favoriser la transparence, elle promeut des conditions de licences claires et intelligibles, des licences couvrant les utilisations raisonnablement attendues des logiciels (sans requérir d'achats supplémentaires), ainsi que des conditions d'usage fiables et pérennes. Pour l'interopérabilité, la charte demande aux éditeurs d'annuaires de privilégier des standards ouverts et interopérables, afin de ne pas verrouiller les clients. Enfin, la bienveillance consiste à éviter les sanctions financières, audits intrusifs et autres formes de représailles quand un client choisit un autre fournisseur de cloud.
Alban Schmutz, président du CISPE, a relié cette charte à la proposition de législation européenne Digital Markets Act (DMA). « Le DMA vise à créer des obligations ex ante pour les gate keepers, ou contrôleurs d'accès (NDLR : grandes plateformes de services cloud), afin que le marché fonctionne mieux ». Si le DMA cible surtout les marchés numériques grand public à l'heure actuelle, pour le Cigref et le CISPE, la proposition est également une opportunité pour introduire de l'équité dans les marchés interentreprises, en créant notamment des obligations pour les grands éditeurs de logiciels. « Les entreprises n'ont pas le temps d'attendre 10 à 15 ans qu'aboutisse une enquête de concurrence », insiste Alban Schmutz. « Les clients ont besoin de flexibilité, d'aller vite, à des prix raisonnables et sans être prisonniers d'un fournisseur. De leur côté, les fournisseurs ont besoin que les clients soient libres de choisir leurs partenaires, afin de proposer des offres compétitives sans être contraints. » Pour lui, la charte demande un engagement clair aux acteurs du marché, tout en donnant également des principes directeurs aux services achats - un moyen pour les deux parties de montrer la volonté de construire une relation positive. « Si la pression du marché ne suffit pas à faire changer les pratiques, notre objectif est de faire intégrer ces principes dans la législation, pour permettre aux régulateurs de rétablir l'équilibre. » Un constat partagé par la députée LREM Mireille Clapot, présidente de la Commission supérieure du numérique et des postes, pour qui « la transition vers le cloud doit être organisée afin de ne pas laisser le champ libre à toutes les prédations ». Celle-ci a salué l'initiative commune du Cigref et du CISPE, la qualifiant d'exemplaire, car portée à la fois par une association d'utilisateurs de services cloud et par des fournisseurs de ces mêmes services.
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