En direct de Montpellier. Regroupés au sein d’un amphithéâtre dans les locaux montpelliérain d'IBM, 140 chefs d’entreprises étaient réunis par le constructeur et la Région Occitanie pour découvrir les potentialités de l’informatique quantique. Cette technologie permet de décupler les capacités de calcul d’une machine. En effet, là où un bit stocke une donnée sous forme de 0 ou de 1, un qubit peut prendre les deux formes à la fois. Et par un phénomène d’intrication, si une information est envoyée d’un point A à un point B, la forme du qubit au départ sera la même à l’arrivée. Dans le domaine des communications par exemple, cela va pouvoir permettre d’échanger des messages avec des clés cryptographiques inviolables. Si un intervenant extérieur essaie d'intercepter le message, plus personne ne pourra le lire puisqu’une loi de mécanique quantique indique qu’« on ne peut pas déduire, connaître ou manipuler un état quantique aléatoire à sa guise ». S’ils n’arrivent pas à lire le message final, les utilisateurs savent donc qu’il sont espionnés.
Isabelle Philip, chercheure au CNRS qui s’est chargée de définir clairement à l’assemblée ce que permet la mécanique quantique, indique que la distribution de clé de sécurité quantique a déjà été mise en oeuvre par la Chine. En 2016, la république populaire a lancé un satellite dédié aux expériences de sécurité quantique et démontré l’efficacité de la distribution de clés quantiques sur plus de 700 km à travers cette liaison satellite avec un débit de 100bit/sec. C’est une mise en application possible de la technologie parmi quelques autres. La scientifique parle notamment de créations de capteurs ultrasensibles à la fois aux champ magnétiques, au temps, la température, la pression etc. Mais aujourd’hui cette technologie permet majoritairement de réaliser des calculs et résoudre des problèmes que les ordinateurs classiques peinent à résoudre.
IBM va mettre à disposition un calculateur de 50 qubits
Des solutions quantiques (supercalculateurs ou simulateurs) sont aujourd’hui développés par Google, Atos, IBM, Intel, Microsoft ou encore D-Wave qui, quand ses concurrents ont des machines d’une puissance d’une quarantaine de qubits, offre une puissance de 2 000 qubits. Mais ces calculateurs ne servent pour l’instant qu’à des usages ciblés à un seul algorithme à la fois, et le taux d’erreur augmente fortement en fonction de la puissance et des opérations que l’on veut faire. Et « 50-100 qubits, c’est la limite de ce qu’on sait simuler avec un ordinateur classique. Dès qu’on va dépasser cette limite, c’est fini on ne pourra plus utiliser d’ordinateur classique pour faire des simulations » pointe Isabelle Philip. C’est pour cela qu’IBM a fait le choix de développer des calculateurs « généralistes » capables de conjuguer puissance de calcul et taux d’erreur amoindri.
Les puces qubits d'IBM sont élaborés à partir de métaux supraconducteurs (principalement l'aluminium) sur un substrat de silicium. (Crédit : IBM Research)
« Depuis quelques années, il y a une accélération forte de la maîtrise de la technologie et l'apparition de premières briques de base quantique » indique Olivier Hess, en charge de l’innovation chez IBM et membre de l’équipe quantique Europe du groupe. Aujourd’hui, big blue a quatre machines - dont une en France - ayant atteint les 20 qubits, en plus de premières versions de 5 ou 16 qubits. Olivier Hess a annoncé qu’un calculateur de 50 qubits allait être mis à disposition d’ici le début de l’année prochaine. Et pour le responsable de l'innovation d’IBM, ces super-calculateurs ont vocation à venir accélérer la puissance des serveurs traditionnels.
Un accès libre aux machines IBM
Afin de permettre aux chercheurs et entreprises de constater la puissance quantique et tester leurs algorithmes, IBM à mis en place une interface cloud accessible à tous. Cette Quantum experience donne accès à une machine 5 et 16 qbits ainsi qu'à un simulateur et à la plate-forme QSIkit pour faire leurs tests. D'après Olivier Hess, 75 000 comptes sont ouverts dans le monde. Parallèlement, le fournisseur américain a lancé au début de l’année un réseau mettant en lien de grandes banques (JPMorgan Chase, Barclays..), des industriels (Samsung ou Honda) et des laboratoires de recherche pour explorer des applications commerciales pratiques de l'informatique quantique.
Le QSIkit est accessible par tous gratuitement. L'utilisateur à un quota d'heures d'utilisation en fonction du problème à résoudre. Les plus actifs sont recrédités. L'idée est de créer une communauté pour partager les informations issues des recherches de chacun. (Crédit : IBM Research)
Car pour le moment, selon IBM, les principales requêtes faites via le QSIkit concernent surtout la chimie quantique ou l'optimisation de systèmes. Mais des industriels comme Airbus s’intéressent à comment appliquer la technologie quantique à leur activité. Le constructeur d’avion possède son propre programme HPC mais réfléchit à l’intégration de briques quantiques dans son système. Il a donc investi dans une start-up californienne QC Ware, qui développe des applications fonctionnant avec des calculateurs quantiques quel que soit le hardware utilisé. Vincent Galinier, Enterprise IT architect chez Airbus, explique que ce partenariat permet à l’industriel de faire « de la simulation dans différents domaines : aérodynamique, stress, aéroacoustique. Et un des enjeux c’est de répondre à une problématique transverse » et de réussir à intégrer ce genre de technologie dans l’environnement du SI déjà en place sans y créer de rupture.
52 M$ d’investissements dans le quantique en France
Airbus a ainsi travaillé sur sa méthode d’arbres de décisions avec la technologie de QCware. Ces schémas représentant les conséquences possibles d'une série de choix interconnectés permettent à une personne ou une organisation d'évaluer différentes actions possibles en fonction de leur coût, de leur probabilité et de leurs bénéfices. La technologie quantique permettrait donc d’apporter rapidement la meilleure solution à un éventail de choix complexes. Aujourd’hui Airbus investit 3% de son budget IT uniquement dans le High Performance Computing et 1% de la R&D va au développement de cette technologie.
Vincent Galinier, Enterprise IT architect chez Airbus, a insisté sur le besoin pour les entreprises de développer des applications « agnostiques à la technologie utilisée. » (Crédit : NC)
Côté investissements dans la recherche autour des technologies quantique, il s’élevaient autour d’1,5 Md $ en 2015 selon le cabinet de conseil McKinsey. Par région, c’est l’Union Européenne qui a la plus investi avec environ 550 M$. La France était le troisième financeur européen le plus important (52 M$), derrière la Grande-Bretagne (105 M$) et l’Allemagne (120 M$). Les Etats-Unis suivent avec 360M $ et la Chine arrive troisième, avec 220 M$ bien que ce dernier pays communique très peu sur l’état d’avancement de ses recherches. D’ici trois ou quatre ans, la maîtrise de cette technologie sera suffisante pour résoudre certains problèmes de manière plus performante que les ordinateurs traditionnels d’après Olivier Hess. Les entreprises ont donc intérêt à investir aussi et développer des algorithmes dès maintenant pour être prêts.
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