L'IA générative source d'un boom économique ? L'arrivée de la technologie sur le marché a donné lieu à des estimations enthousiastes : un bond de 7% du PIB mondial sur la prochaine décennie selon Goldman Sachs ou encore un taux de croissance moyen du PIB boosté de 3 à 4 points d'ici 2040, selon le McKinsey Global Institute. Economiste de renom au MIT (Massachusetts Institute of Technology), Daron Acemoglu vient doucher cet optimisme béat. Sa dernière étude évalue le gain économique amené par l'IA générative à une fourchette comprise entre 0,93 et 1,16 point sur 10 ans. Significatif certes, mais pas massif.
Pour parvenir à ce chiffre, l'économiste se base sur la part des tâches qu'il estime automatisable avec la technologie actuelle, part qu'il évalue à environ 4,6%. « Ce qui signifie que l'IA n'augmentera la productivité globale des facteurs (soit la part de la croissance économique qui n'est pas expliquée par l'accroissement du capital ou de la quantité de travail, NDLR) que de 0,66% sur dix ans, soit 0,06% par an », écrit Daron Acemoglu. L'accroissement du PIB que calcule l'économiste tient compte, en supplément, des investissements que génère la technologie.
Des tâches de plus en plus difficiles à automatiser
Pour l'économiste, indubitablement, l'IA générative amène des gains de productivité, mais beaucoup plus modestes que ce que la plupart des commentateurs et économistes ont affirmé jusqu'à présent. « Pour obtenir des chiffres plus élevés, il faut soit augmenter les gains de productivité au niveau microéconomique, soit supposer que beaucoup plus de tâches dans l'économie seront affectées. Mais aucun de ces scénarios ne semble plausible », écrit Daron Acemoglu, dans un article de commentaire.
L'exposition à l'automatisation par l'IA en fonction du salaire et du niveau d'éducation. (Source : Daron Acemoglu, MIT, 2024)
De plus, selon l'économiste, atteindre la fourchette de croissance du PIB qu'il fournit implique également de relever un certain nombre de défis. Car, indique Daron Acemoglu, les calculs de gains de productivité dont nous disposons déjà se focalisent sur des tâches facilement à la portée des services d'IA actuels. Les suivantes s'annoncent plus difficiles à automatiser, « principalement parce qu'elles sont susceptibles d'impliquer des interactions plus complexes entre l'action et le contexte et parce qu'elles ne disposent pas de mesures claires de bénéfice qui soient observables, ce qui oblige les modèles d'IA à apprendre à partir du comportement moyen des humains qui ont précédemment effectué les mêmes tâches. » Le chercheur estime qu'environ un quart des 4,6% de tâches automatisables appartiennent à cette catégorie où la phase d'apprentissage s'annonce difficile. « Une fois cet ajustement effectué, le chiffre de 0,66% de croissance de la productivité globale des facteurs tombe à environ 0,53% », tranche l'économiste.
L'industrie en train de gâcher le potentiel de l'IA ?
Toutefois, selon Daron Acemoglu, ces calculs résultent aussi de la voie choisie par l'industrie de la tech. « L'IA est ce que les économistes appellent une technologie polyvalente. Nous pouvons faire beaucoup de choses avec elle, et il y a certainement mieux à faire que d'automatiser le travail et d'augmenter la rentabilité de la publicité en ligne, raille l'économiste. Mais si nous nous laissons aller à un techno-optimisme aveugle ou si nous laissons l'industrie technologique fixer l'agenda, une grande partie du potentiel de la technologie pourrait être gâchée. »
Pour l'auteur, la croissance économique amenée par l'IA pourrait être supérieure si la technologie était mise plus efficacement au service des métiers. « Si l'IA est utilisée pour générer de nouvelles tâches pour les salariés, elle peut avoir des conséquences plus bénéfiques sur la productivité, les salaires et les inégalités. Elle peut même augmenter les salaires. Cela peut être doublement vrai avec l'IA générative, qui pourrait être utilisée pour fournir de meilleures informations aux travailleurs et renforcer leur expertise », écrit Daron Acemoglu. Et de citer le cas des électriciens, réparateurs, plombiers, infirmières, éducateurs, employés de bureau ou encore ouvriers en usines confrontés à des tâches s'apparentant à de la résolution de problèmes. Des tâches qui requièrent des informations en temps réel, contextuelles et fiables que pourrait apporter l'IA.
Des LLM trop polyvalents
Mais, pour l'économiste, la voie empruntée actuellement par la GenAI répond mal à ces besoins, donc laisse ces gains de productivité potentiels hors de portée des entreprises pour l'essentiel. « La nature polyvalente de l'approche actuelle de l'IA générative semble mal adaptée à la fourniture d'informations métiers fiables. En d'autres termes, la question de savoir si nous avons besoin de modèles de fondation (ou du type actuel de LLM) capables d'engager des conversations de type humain et d'écrire des sonnets de Shakespeare reste ouverte si nous voulons fournir des informations fiables et utiles aux éducateurs, aux professionnels de la santé, aux électriciens, aux plombiers et à d'autres artisans », analyse l'économiste. Un besoin de spécialisation qui reste une des problématiques centrales des DSI et CDO, d'un côté confrontés aux limites du RAG (génération augmentée par récupération) et de l'autre bloqués par la complexité des approches par fine-tuning.
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