A l'heure actuelle, ni le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ni l'actuel président du GIP Renater, Henri Pidault (par ailleurs DSI groupe de la SNCF), ne souhaitent s'exprimer sur la crise traversée par le GIP Renater malgré nos sollicitations, en dehors des communiqués de presse laconiques diffusés. Le GIP Renater qui opère, comme son nom l'indique, le REseau NAtional de Télécommunications pour la technologie, l'Enseignement et la Recherche, a été créé en 1993 pour assurer cette infrastructure dorsale et coeur de réseau. Le directeur général du GIP, Eric Durieux, a été limogé le 3 février 2022, moins de deux ans après une nomination visant à rétablir une situation difficile. Mais, selon nos confrères d'AEF Info citant Henri Pidault, le conseil d'administration a constaté de profondes divergences de vue avec le directeur général. Au delà des problèmes financiers, la question qui semble bien posée est celle de la gouvernance de Renater et des relations entre le conseil d'administration (responsable de la gouvernance) et la direction générale (en charge de l'exécution).
Le GIP (groupement d'intérêt public, un GIE d'organismes de droit public) a été créé en fédérant l'État, les ministères en charge de l'enseignement et de la recherche et divers établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPCST) tels que le CNRS et l'INRIA. De facto, les universités ne sont pas, en tant que telles, représentées au conseil d'administration de Renater puisqu'elles ne sont pas directement membres du GIP : c'est leur ministère de tutelle qui l'est. Et c'est visiblement l'un des problèmes à l'origine des difficultés.
Renater, service critique pour les universités
« Les universités sont des très gros consommateurs des services de Renater, notamment au travers des services aux étudiants, pas seulement pour l'enseignement à distance mais aussi pour le quotidien administratif ou des accès à divers services ou plates-formes en lien avec l'enseignement présentiel » souligne ainsi Laurent Berenguier, président de l'A-DSI (Assemblée des DSIN de l'enseignement supérieur et de la recherche). Il en résulte que la dorsale offerte par Renater est devenue un service critique dans l'enseignement supérieur alors que le GIP a été créé pour les EPCST. Laurent Berenguier relève : « les établissements d'enseignement supérieur sont représentés au conseil d'administration via France Universités [anciennement Conférence des Présidents d'Université, NDLR], pas par des DSI, donc si le DSI a un souci ou un souhait à faire remonter, il doit passer par son président d'université qui va lui-même remonter à France Universités... sur des sujets qui peuvent être très techniques. » Il en résulte, selon lui, que « les préoccupations IT des universités ne sont pas prises en compte ».
Face à la crise actuelle dont nous nous faisions l'écho la semaine passée, le mot d'ordre serait le maintien du niveau de service. Il ne semble pas qu'il y ait eu de véritable coupure du service mais des liens réseaux auraient bien été coupés à certains endroits, surtout pour des raisons de mauvaise gestion contractuelle. Ces coupures affecteraient plutôt des infrastructures servant, en secours, à la redondance des infrastructures principales.
Un modèle économique par dotation directe
Les difficultés ont commencé à être remontées aux DSI d'universités depuis la fin de l'année 2019 et le début de 2020. La Conférence des Présidents d'Université [devenue depuis France Universités] a dénoncé par communiqué une faillite de la gouvernance du GIP le 28 mai 2020. La problématique serait l'adéquation entre les dépenses et le service offert, le niveau de service n'étant pas lié aux facturations. Le principe posé pour le financement de Renater est que le GIP reçoit une dotation directe de l'État. Ce ne sont pas les établissements conventionnés (« clients ») qui disposent d'une ligne budgétaire pour acheter des services de base à Renater mais des services complémentaires sont, eux, bien facturés. « Les réalisations effectives du GIP et l'évolution réelle du service au fur et à mesure des besoins, notamment en termes d'augmentation de la bande passante offerte, montrent que ce modèle est, après tout, pertinent » note Laurent Berenguier.
La base du métier de Renater, historiquement, est de fournir une infrastructure réseau entre les plus de 1300 sites reliés. Le réseau est connecté aux réseaux européens Géant (Géant 1 et Géant 2) ainsi qu'au RIE (Réseau Interministériel de l'État) et, bien entendu, à Internet via le point d'échange Sfinx. Mais le GIP a progressivement développé une offre de services numériques, en commençant par la visioconférence (ce qui, à l'époque, était innovant). Il n'y a pas encore de réelle bureautique collaborative mais Renater propose une messagerie Partage basée sur Zimbra. Pour Laurent Berenguier, « cela ne fait pas partie des premières attentes des établissements d'enseignement supérieur et l'offre n'a pas la maturité de services commerciaux concurrents. Notre attendu principal reste le réseau. »
Une mise sous tutelle
Face aux problèmes rencontrés sous l'autorité du précédent directeur nommé en 2011, Patrick Donath (élu maire UDI de Bourg-la-Reine en 2016, réélu en 2020), un nouveau directeur a été nommé le 1er septembre 2020, Eric Durieux. « Mais il est arrivé dans un contexte très difficile » observe Laurent Berenguier. Dès les réunions du 6 octobre 2020 et du 24 novembre 2020, Eric Durieux avait alerté le conseil d'administration des nombreuses anomalies de gestion repérées faisant peser des risques juridiques et financiers certains sur le GIP. Le plan d'action lancé en juin 2021 par l'État a, de fait, abouti à une sorte de mise sous tutelle du GIP par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et l'IGESR (inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche). Laurent Berenguier constate que « il y a indubitablement eu, en quelque sorte, un transfert d'autorité de la direction vers le groupe de travail ». Du coup, le directeur pouvait-il remplir réellement sa mission ? Il est vrai que le directeur avait constaté un déficit budgétaire de dix millions d'euros et un passif cumulé de trente-deux millions. Cinq millions ont pu être facturés aux bénéficiaires au titre des prestations non-encore facturées entre 2016 et 2020. Par ailleurs, en décembre 2021, six millions de complément de subvention ont été notifiés par la DGESIP (Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle).
Au-delà des difficultés actuelles, même si l'État vient abonder la dotation pour solder le passif et le déficit résiduel, se posera la question de la gouvernance du GIP. « Quelque soit la composition historique du GIP, cela ne correspond plus à la réalité actuelle des utilisateurs effectifs des ressources de Renater et la crise actuelle est une occasion d'en revoir la gouvernance » martèle Laurent Berenguier. L'évolution institutionnelle des universités avec leur autonomie de gestion et leur rôle de gestion du réseau inter-sites de chaque université devraient amener les établissements d'enseignement supérieur à revendiquer une représentation directe. Plusieurs hypothèses restent sur la table pour l'avenir, y compris une éventuelle fusion avec le RIE (Réseau Interministériel de l'État), comble de l'ironie puisque Renater avait inspiré le RIE.
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