Il y a beaucoup de vœux pieux dans « La valeur de l'open source à l'ère du cloud », une récente enquête O’Reilly Media commandée par IBM. Ainsi, 70% des plus de 3 400 personnes interrogées disent préférer les fournisseurs de cloud basés sur l’open source. Cela paraît très bien jusqu’à ce que l’on demande : « Que signifie être basé sur l’open source ? ». Après tout, chaque logiciel existant peut sans doute correspondre à cette description. Parmi les autres chiffres remontés : 79% se tournent vers l’open source dans le cloud parce d’une façon ou d’une autre, cela empêche d’être verrouillé par un fournisseur. Ainsi que je l’ai déjà écrit en 2016, c'est un peu ridicule de penser cela, pour diverses raisons. Mais, enfouie dans tous ces bons sentiments de bien-être open source, il y a une vérité flagrante : les offres cloud spécifiques vont aider les développeurs à livrer leur code plus vite, mais les technologies ouvertes leur permettront de construire une carrière qui leur donne de l’indépendance par rapport aux fournisseurs cloud, quels qu’ils soient.
Multicloud accidentel vs multicloud intentionnel
D'après l'enquête, 55% des répondants disent que « l’apprentissage de compétences de cloud computing spécifiques à un seul fournisseur de cloud limite la progression de leur carrière ». Un résultat certes intéressant, en dépit du fait que c’est exactement ce que font tous les développeurs... Pourquoi ? Parce que la plupart des entreprises ont tendance à se concentrer sur un seul fournisseur de services cloud. Oui, car presque toutes les entreprises finissent par utiliser certaines applications ou infrastructures provenant de différents fournisseurs de cloud. Mais c’est qu’on peut appeler du « multicloud accidentel ». Ce n’est pas du « multicloud intentionnel ». Ce dernier se produit quelquefois, mais c’est rare. Pourquoi ? Parce que comme l'a noté Christian Reilly, ancien vice-président de Citrix : « Le problème est, et sera toujours, le manque de fongibilité. La fongibilité ne génère pas de chiffre d’affaires. La grande promesse des fournisseurs agnostiques est morte aussitôt que les concepts de produits de commodité sont sortis par la fenêtre. Les gens réfléchis utilise le best of breed. L’idée d’un vrai multicloud, c’est de la folie ».
Lorsque les entreprises recrutent, elles le font en ayant un cloud en tête. Savoir comment utiliser les services natifs pour Microsoft Azure, ou pour Google Cloud ou bien AWS ou encore Alibaba. Les auteurs du rapport d'IBM/O’Reilly font ensuite un peu de hors piste pour essayer d’expliquer pourquoi les développeurs se tournent vers l’open source pour réduire le verrouillage. Ils suggèrent qu’avec un logiciel propriétaire, le fournisseur peut imposer de fortes hausses de prix, supprimer une fonctionnalité-clé dont le client dépend parce qu’il ne veut plus la supporter, ou encore peut faire faillite ou changer radicalement son modèle économique et abandonner ses anciens clients. Parmi les autres éventualités, le fournisseur peut s’introduire dans un segment de marché où travaille le client pour devenir un concurrent direct et abuser de sa position pour désavantager le client. Au nombre des autres risques possibles, des bugs ou des problèmes de performances bizarres peuvent surgir dans les fonctionnalités dont dépend le client ou, encore, le client peut avoir des difficultés à recruter des candidats ayant une expertise sur le produit propriétaire.
Tirer parti de l'open source sans en supporter la charge
Malheureusement tous ces facteurs se révèlent aussi vrais pour les entreprises open source que pour les entreprises propriétaires. Les clients qui se sont appuyés sur un produit open source, par exemple, ne veulent pas s’entendre dire : « Ne vous inquiétez pas si le projet n’est plus développé activement. Vous avez le code, vous pouvez assurer le support vous-mêmes ». Cela n’est pas rassurant pour l’entreprise. En effet, dans une enquête séparée (réalisée à l’aveugle) sponsorisée par mon équipe AWS, ce que semblent vouloir les clients, c’est de pouvoir tirer le meilleur parti de l’open source sans avoir à assumer le fardeau d’y réfléchir trop en profondeur.
Qu'ils utilisent des logiciels propriétaires ou open source, les clients veulent que cela fonctionne simplement. Pour les développeurs, il en va tout autrement, et c'est là que l'enquête IBM/O'Reilly est intéressante. (Crédit : O'Reilly Media)
Contrôler sa progression de carrière
Les développeurs sont extrêmement influents dans les décisions d’achat des entreprises, mais ils ne les contrôlent généralement pas. Ce qu’ils peuvent en revanche contrôler, c’est la progression de leur carrière et, sur ce point, les développeurs prônent l’open source. Aussi important que cela puisse être pour les développeurs de connaître les subtilités d’un fournisseur de cloud particulier, de nombreuses technologies open source (Kubernetes, Linux, PostgreSQL, etc.) leur donnent des compétences qui se transfèrent entre clouds. Il n’est donc pas étonnant que les développeurs considèrent l’open source comme essentiel pour améliorer leurs perspectives de carrière. Ce n’est pas qu’ils ne tirent pas de valeur de la connaissance, par exemple d’un Google BigQuery. Mais il est plus intéressant de connaître TensorFlow ou une autre technologie open source qui peut être utilisée dans une plus grande variété de contextes d’entreprise.
Plus on s'implique dans les projets open source, plus les opportunités professionnelles semblent bien se multiplier. (Crédit : O'Reilly Media)
La valeur de l'open source dans la carrière apparait importante surtout lorsqu'elle est couplée avec des technologies de fournisseurs spécialisés. (Crédit : O'Reilly Media)
Quand près de 79% des répondant à l’enquête IBM/O’Reilly disent que les logiciels open source offrent plus de flexibilité que les logiciels propriétaires, c’est ce qu’ils veulent dire. Ainsi, alors que certains versent dans le mythe de l’open source qui ne crée pas de verrouillage (dans l’entreprise, chaque choix technologique engendre un verrouillage), ce n’est pas au niveau de l’entreprise, mais au niveau personnel que l’open source apporte vraiment son aide. Autrement dit, plus que je connais de logiciels open source, plus j’aurais de valeur où que je choisisse de travailler.
Sans surprise, les développeurs comprennent cela. Dans l’enquête, lorsque l’on demande aux développeurs de quantifier l’importance qu’ils perçoivent de Kubernetes sur leur carrière, 52% déclarent que cette technologie d’orchestration de containers est « extrêmement importante » ou « très importante ». En ajoutant ceux qui la trouvent « assez importante », on arrive à 80% des répondants. De toute évidence, les développeurs continuent à être incités à bâtir leurs carrière autour des des technologies open source et à maintenir leur indépendance grâce à l’open source, alors même qu'ils s'efforcent d'augmenter leur valeur en investissant dans la connaissance des technologies spécifiques au cloud.
Bonjour,
Signaler un abusMerci beaucoup pour cet article très intéressant. Je cherchais depuis plusieurs mois une réflexion sur le sujet dans ce sens. J'avais été étonné par le parti pris par cetains dès le départ dans leur apprentissage de l'informatique dite nuagique en fonction effectivement d'opportunités immédiates. La question posée dans cet article et les sondages qui étayent les éléments de réponses sont extrêmement pertinents. Au plaisir de lire vos prochaines publications !