Le droit à la vie privée, considéré pendant deux siècles comme un élément de notre civilisation serait-il remis en cause par l'obsession de la transparence qu'imposent les nouvelles technologies ? C'est la question qui traverse le livre « Mortelle transparence » publié chez Albin Michel par Denis Olivennes, patron de Lagardère Média et Mathias Chichportich, avocat spécialisé en droit pénal et en droit des médias. Ces deux schumpétériens déclarés, donc partisans de la destruction créatrice comme facteur de progrès, ont voulu en moins de 200 pages nous réveiller et poser quelques questions.
Ce qui les gêne ? L'idéologie de la transparence alliée à l'emballement de la révolution numérique. Des gourous de la Silicon Valley qui conçoivent la vie privée comme une parenthèse dans l'histoire de l'humanité. La foule anonyme des réseaux sociaux qui harcèle au lieu de débattre. Un nouvel espace public qui efface les vies privées, ne connaît pas l'oubli, débouche sur un nouveau poujadisme puritain. Un traitement des données qui amène aux modèles prédictifs pour anticiper nos désirs et influencer nos choix.
Une transparence envahissante
Pour les auteurs, il s'agit bien d'une idéologie. « Une idéologie qui impose de tout dire et une technologie qui permet de tout voir ». Une transparence envahissante, qui finit par s'imposer contre le droit au secret. Nous ne savons plus où sont les limites, où sont les avantages et où commencent un nouveau poujadisme, une nouvelle tyrannie. Le livre veut nous réveiller, nous inciter à réfléchir et débattre.
La reconnaissance faciale est par exemple un progrès technologique pour assurer la sécurité des accès, mais va permettre de deviner nos émotions et d'anticiper nos désirs. Où est la liberté ? Les deux auteurs ne craignent pas de citer La Boétie et son célèbre discours sur la servitude volontaire. Nous donnons beaucoup de nous, nos données notre identité, au numérique qui nous prend une partie de nous-mêmes (big data is leading you) et nous prépare, sous prétexte de nouveaux services à de nouvelles servitudes. Vidéo, selfies, tyrannie des egos, opinion commune qui se forge et qui juge en fonction d'un nouveau conformisme : nous sommes entraînés de manière détournée, sans savoir s'il faut réagir.
Le poujadisme numérique
Un nouveau puritanisme s'installe. Facebook censure l'origine du monde ou la sirène de Copenhague en fonction de ses critères moralisants. Le livre parle également de « poujadisme numérique ». La pression des réseaux sociaux et des chaînes d'information sur l'actualité politique en particulier est flagrante. Le secret médical se trouve contourné par ceux qui détiennent les données, vendent des médicaments en ligne, ou se font fort de prédire l'évolution de notre santé.
Consommateurs, patients, citoyens, à des titres divers nous sommes soumis à cette mortelle transparence. Loin du pamphlet ou de la théorie, Denis Olivennes et Mathias Chichportich veulent nous faire réagir, savoir ce qu'on donne et ce qu'on garde de nos données ou de nos libertés. Salutaire, même si les auteurs restent trop négatifs et oublient par exemple le RGPD, qui montre un vrai sursaut des européens sur la protection de leurs données personnelles.
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