La quatrième édition du « 8:30 » d'Engie était consacrée à la donnée, qui devient un atout et une source de valeur pour les entreprises, à condition de traiter avec les bons algorithmes des informations sans erreurs. « Les données sont issues de différentes sources, qui peuvent être entachées d’erreur, la production de la donnée est donc un élément très important », rappelle en préambule Florence d’Alche-Buc, professeur à Télécom ParisTech. Pour faire parler les données, les algorithmes d’apprentissage vont chercher des granularités statistiques. « Si ces données ont des biais, si elles ne permettent pas d’avoir suffisamment de bons exemples, on ne pourra pas exploiter ces granularités », insiste Florence d’Alche-Buc. Afin de limiter ces biais, il faut savoir dès la collecte des données ce que l’on va en faire.
Le développement du traitement des données pose aussi des questions éthiques. En manipulant des données, même anonymisées, on peut trouver des informations sur les personnes. Un courant se développe pour travailler sur des données encryptées, sur des caractéristiques particulières des données, ou en représentant les données uniquement par des distances entre elles, représentées par une matrice que l’on va manipuler.
Chez un industriel comme Engie, la donnée a pris une très grande importance. « Le business model se transforme, avec la décentralisation de la production d’énergie, du stockage, de la gestion de la consommation et de la vente et l’achat, explique Gérard Guinamand, chief data officier chez Engie. La donnée devient un flux tout aussi important que la matière elle-même, et doit devenir une nouvelle ressource. » Cette évolution se traduit concrètement. Engie a par exemple développé un algorithme pour un client qui dispose de nombreux panneaux solaires sur des ombrières de parking. Avec cet algorithme, il pourra décider seul de la meilleure gestion de la ressource, électrique, en fonction de la disponibilité des panneaux, de la capacité de stockage de l’énergie produite, de la météorologie et des données de marché.
Des objectifs opérationnels chiffrés
En 2018 a été lancé le programme « Data@ENGIE » pour réduire les coûts et développer de nouveaux services, transformer les cas d’usage en réalisations concrètes et développer un écosystème technologique. « Nous nous sommes fixés des objectifs très opérationnels, confie Gérard Guinamand : 40 entités connectées d’ici la fin de l’année 2019, un volume de données 40 téraoctets, et la réalisation de trente cas d’usage. »
L’entité B to C d’Engie, en collaboration avec la start-up Vekia, tire également des bénéfices du traitement de la donnée. « Nous avons 2 300 agences en France, et donc autant de stocks à gérer, explique Stéphane Moillic, directeur supply chain. Le Graal serait que les 3 300 techniciens aient le plus souvent possible la pièce de rechange dans leur véhicule quand ils partent en intervention chez le client. » Avec 1,4 million de références, un entrepôt central de 4 800 mètres-carrés d’une capacité de 11 000 références et 3 300véhicules pouvant en contenir entre 100 et 200 pièces, l’équation est complexe. « Avec Vekia, nous regardons quelles pièces nous devons stocker dans nos entrepôts centralisés, quelles pièces seront commandées à un distributeur », explique Stéphane Moillic. Les flux de sortie de l’entrepôt, les historiques de demandes des agences, les données issues des fournisseurs sont mixées pour que les prévisions de consommation soient transformées en approvisionnements.
Les données d’Engie sont stockées dans le Cloud de Vekia, auxquelles sont ajoutées les données extérieures de nature à expliquer les consommations futures. « L’une des clés de ce type de logiciel, c’est d’être dans la prévision, insiste Manuel Davy, président-fondateur de Vekia. Nous agrégeons toutes ces informations dans des algorithmes pour que chaque agence reçoive exactement la quantité de stock dont elle aura besoin. »
Les résultats sont tangibles : réduction de 10 % la valeur des stocks dans les agences, baisse de 15 % coût du transport de 15 % du coût de transport en maximisant les franco de port, augmentation de 5 % de la disponibilité des produits. L’ensemble de l’industrie est en mouvement, les entreprises ont pris conscience que la donnée est une ressource. « Mais on s’aperçoit que la donnée est finalement l’un des éléments les plus faciles à obtenir, car les personnes et les processus sont fortement impactés par l’arrivée des nouvelles technologies, avertit Manuel Davy. L’utilisateur va être perturbé dans ses usages. »
« J’aime les pays où l’on a besoin d’ombre »
L’économiste et écrivain Erik Orsenna a conclu de manière personnelle une session très dense. « On est en train d’inventer de nouveaux mots correspondant à une nouvelle réalité. Ce qui me frappe en tant qu’économiste, c’est l’accélération des évolutions. En une dizaine d’années, c’est incroyable comme le métier d’Engie a changé. » Pour Erik Orsenna, afin de comprendre une nouvelle réalité, on est obligé d’inventer une nouvelle science, par le dialogue entre plusieurs sciences. « Pasteur a compris de nouvelles réalités, comme le processus d’infection, en mêlant la chimie, la biologie et la physique, et créé de nouvelles sciences, la biochimie et la stéréochimie. » D’où l’importance d’associer la recherche fondamentale pour développer des applications concrètes.
Erik Orsenna alerte enfin sur l’inconfort provoqué par l’innovation, et l’obligation pour ceux qui ont comme mission la mise en œuvre de cette métamorphose de gérer l’aspect humain. Avant de conclure par une interrogation. « Les objets se parlent de plus en plus. La parole aux objets et le silence aux humains ? Je citerai la magnifique phrase de Stendhal : « J’aime les pays où l’on a besoin d’ombre ». Quelle sera une société où il y aura tellement de data qu’il n’y aura plus d’ombre ? Comment peut-on vivre avec un taux d’analyse insupportable pour notre liberté ? »
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