Pour le CEO de Hugging Face, Clément Delangue, l'open source pourrait éviter que l'IA ne « se retrouve entre les mains de quelques entreprises ». C'est une belle idée, excepté que rien dans l'histoire de l'IT ne vient la conforter. Oui, l'open source est devenu partie intégrante du développement de logiciels, mais personne ne peut donner un seul exemple où le logiciel libre a empêché ce marché de tomber entre les mains de « quelques entreprises ». Mais quid du cloud ? Il y a des années, j'ai écrit que le cloud était impossible sans l'open source, et je le pense toujours. Mais dans le domaine de l'infrastructure cloud, les grands gagnants se comptent sur les doigts d'une main. On peut dire la même chose de catégories comme le SaaS et d'autres encore. Moralité, si l'open source peut engendrer de grands marchés, il ne permet pas d'en tirer des bénéfices généralisés, parce qu'en fin de compte, les entreprises comme les particuliers paient pour qu'un acteur supprime la complexité du choix. Par définition, il ne peut donc y avoir que quelques « acteurs » sur un marché donné.

L'activation de l'open source

Clément Delangue a aussi déclaré que « l'open source pouvait créer plus de concurrence, donner à davantage d'organisations et d'entreprises le pouvoir de construire de l'IA et un système propre qu'elles contrôlent, afin de ne pas dépendre uniquement des grandes entreprises de technologie ». Il a peut-être raison de dire que l'open source crée plus d'opportunités de développement pour plus d'entreprises, mais il a totalement tort de dire que les gens ne finiront pas par dépendre des grandes entreprises technologiques. Je ne dis pas cela parce que je voudrais qu'il en soit ainsi, mais parce que c'est bien cela qui se passe dans les faits. Reprenons encore une fois l'exemple du cloud. Il montre que l'abondance de logiciels libres n'a pas eu pour effet de disperser le marché du cloud. Au contraire, elle l'a concentré. Face à l'offre étendue de logiciels open source, les entreprises ont eu besoin de fournisseurs spécialisés dans le cloud pour s'y retrouver. Les entreprises ne se sont pas non plus vraiment souciées de la provenance de ce code open source. Après tout, jusqu'à présent, le plus grand gagnant du cloud (Amazon Web Services) a été le plus petit contributeur à l'open source, relativement parlant. Cette situation a changé ces dernières années, puisque AWS a contribué à un grand nombre de projets, de Postgres à OpenTelemetry en passant par Linux. Mon propos n'est pas de critiquer la société. Loin de là. Après tout, elle a fait ce que voulaient les clients : rendre tout cet open-source facilement consommable par les entreprises, quelle que soit sa provenance. Certes, on peut souhaiter que l'IA échappe à ce modèle, mais il est difficile d'imaginer comment cela soit possible.

Les gagnants de l'IA

Comme le fait remarquer Richard Waters dans le Financial Times, « le plus grand défi d'OpenAI est l'absence de protection autour de son activité et la concurrence intense à laquelle elle est confrontée ». Cette dernière ne vient pas de l'open source, mais d'autres entreprises bien capitalisées, comme Microsoft, Meta et Google. Aujourd'hui, l'un des principaux problèmes de l'IA est la lourdeur des tâches imposées à l'utilisateur. Les utilisateurs ne veulent pas ou n'ont pas besoin de multiples options basées sur l'open source. Ils ont plutôt besoin que quelqu'un simplifie l'IA. La question de savoir qui offrira cette simplicité reste ouverte, mais la réponse ne sera pas « un grand nombre d'éditeurs de logiciels libres », car, par définition, cela ne ferait qu'exacerber la complexité que les clients souhaitent voir disparaître. Oui, il faut être reconnaissant à l'égard de l'open source et de son impact sur l'IA, tout comme il faut l'être vis à vis de son impact sur le cloud et d'autres avancées technologiques. Mais l'open source ne va pas démocratiser l'IA plus qu'elle ne l'a fait pour n'importe quel autre marché. En fin de compte, ce qui intéresse les clients et ce pour quoi ils sont prêts à payer, c'est la commodité et la simplicité. Je crois toujours ce que j'ai écrit en 2009 : « Personne ne s'intéresse à Google parce qu'il utilise PHP, Java ou autre. Personne ne se préoccupe du logiciel sous-jacent ; en tout cas, pas ses utilisateurs ».