Les DSI et les responsables des ressources humaines modifient leur équation en matière de recrutement et de formation, en mettant davantage l'accent sur la requalification des employés actuels. La cause de ce chamboulement ? L'IA. En effet, les promesses de la technologie ne pourront se réaliser que si les employés savent l'exploiter à bon escient.
Or, le marché des talents en matière d'IA est de plus en plus défavorable. En effet, selon un récent rapport de PwC, les offres d'emploi pour les travailleurs ayant une expertise en IA augmentent 3,5 fois plus vite que pour l'ensemble des emplois.
Pire encore, les filières universitaires ne semblent pas près de s'améliorer. Bien que certains établissements d'enseignement supérieur proposent déjà des cours d'IA, beaucoup n'ont pas eu le temps de créer de nouveaux programmes pour répondre à la demande accrue liée au nouveau boom de l'IA, boom qui a débuté avec le lancement de ChatGPT en novembre 2022.
« La demande sera bien supérieure à l'offre, du moins jusqu'à ce que les gens commencent à acquérir des compétences et que les universités commencent à délivrer des diplômes avec une réelle expertise sur le sujet », souligne Malavika Sagar, directrice des ressources humaines chez TE Connectivity, un fabricant de capteurs et de pièces utilisés dans les appareils électroménagers, les dispositifs portables, les bâtiments intelligents, les véhicules et les aéronefs militaires. « Je pense que nous allons être confrontés à une certaine pénurie au cours des quatre ou cinq prochaines années. »
En conséquence, des organisations telles que TE Connectivity lancent des programmes de formation interne pour recycler les employés de l'IT et d'autres services dans l'IA. Les responsables informatiques et RH estiment que ces programmes apporteront à leurs organisations des avantages supplémentaires qu'une approche axée sur le seul recrutement n'est pas susceptible d'amener.
Miser sur la connaissance métiers
Pour faire face à la pénurie de compétences, TE Connectivity vient de lancer un programme de formation à quatre niveaux qui va de l'éducation de base sur l'IA et la manière de l'utiliser au quotidien à la manière dont les ingénieurs peuvent utiliser l'IA pour contribuer à la conception de produits spécifiques. L'entreprise travaille également avec des universités via des défis de conception de produits basés sur l'IA pour les étudiants.
Malavika Sagar y reconnaît que TE Connectivity devra adopter une « double approche », en formant les employés actuels à travailler avec l'IA, mais aussi en recrutant des techniciens spécialisés à l'extérieur. Une expertise externe en matière d'IA sera nécessaire, mais les employés actuels possèdent des connaissances métiers qui manqueront aux nouveaux entrants.
« Il doit y avoir un mariage entre les compétences en IA que quelqu'un peut apporter et l'application pratique de la technologie au niveau de l'entreprise, dit la DRH. Vous pouvez arriver avec la meilleure expertise dans le domaine, mais si vous ne savez pas vraiment comment fonctionne l'entreprise, les applications que vous créerez ne seront pas aussi efficaces qu'elles pourraient l'être. »
TE Connectivity semble avoir une longueur d'avance avec ses programmes formation, selon une nouvelle enquête de Deloitte. Le rapport State of Generative AI in the Enterprise du cabinet, paru au deuxième trimestre 2024, montre que 75% des quelque 2 000 dirigeants IT et métiers interrogés prévoient de modifier leurs stratégies RH au cours des deux prochaines années en raison de l'IA générative. Mais, moins d'un sur cinq affirme qu'il a déjà remodelé son approche en matière d'embauche et de formation.
Un impact en amont et en aval
Un peu moins de la moitié des dirigeants qui prévoient ces changements déclarent qu'ils se concentreront sur la requalification des employés en place, et un pourcentage similaire prévoit de repenser les processus de travail pour tirer parti de l'IA générative. Plus d'un tiers prévoit de lancer des programmes de formation à l'IA, et un autre tiers veut réévaluer les stratégies d'acquisition de talents.
Selon Deborshi Dutt, responsable de l'initiative stratégique IA de Deloitte aux Etats-Unis, la pénurie de talents en matière d'IA touchera à la fois l'IT et la stratégie des entreprises. « En amont, les employés compétents en matière d'IA seront essentiels pour permettre aux entreprises de développer et d'affiner leurs solutions, explique-t-il. En aval, il est essentiel de comprendre comment la main-d'oeuvre pourrait être affectée par le déploiement à grande échelle de l'IA générative, puis d'élaborer les stratégies RH appropriées. »
D'où la nécessité pour les entreprises d'être proactives sur ce terrain, en déployant à la fois des formations pour leurs employés actuels et des programmes d'embauche pour attirer des experts externes, conseille-t-il. La requalification des employés est une étape cruciale, selon lui.
Un effort à poursuivre sur le long terme
« À court terme, la formation et la maîtrise de l'IA au sein du personnel d'une entreprise seront particulièrement importantes pour favoriser l'adoption et surmonter la résistance initiale au changement, reprend Deborshi Dutt. À plus long terme, la montée en compétences ou la requalification, associées à la refonte des processus de travail et des parcours de carrière, seront essentielles pour capturer toute la valeur de l'IA générative et bien positionner les employés pour assurer la réussite de l'organisation. »
Par ailleurs, les dirigeants interrogés ont réfuté les craintes de voir l'IA supprimer des emplois, puisque seulement 22 % d'entre eux s'attendent à ce que les effectifs de leur entreprise diminuent en raison de l'IA générative. Près de quatre personnes sur dix n'anticipent aucun changement en la matière, et à peu près le même pourcentage s'attend à ce que le nombre d'employés augmente suite aux déploiements de l'IA générative.
La gestion du changement, passage obligé
L'IA générative crée déjà une demande pour un nouvel ensemble de compétences. L'ingénierie de données, le prompt engineering et le codage seront les compétences informatiques les plus demandées, mais la pensée critique, la créativité, la flexibilité et la capacité à travailler en équipe seront également très appréciées, selon l'enquête.
Ce mélange de compétences techniques et non techniques est un autre facteur qui façonne l'évolution qui doit accompagner l'arrivée de l'IA. Les technologies se développant rapidement, la flexibilité sera essentielle, souligne Malavika Sagar de TE Connectivity. « La gestion du changement est un aspect vraiment important pour nous, parce que nous devons vaincre la résistance et vraiment réfléchir à la façon dont la technologie peut nous apporter de la valeur ajoutée, dit la DRH. L'agilité est aussi très importante, car il s'agit d'un domaine très nouveau et les progrès technologiques vont être rapides. »
En mettant l'accent sur la formation - plutôt qu'en cherchant uniquement à embaucher pour répondre aux besoins immédiats -, on peut mieux positionner le personnel dans son ensemble pour qu'il évolue avec l'IA et que la technologie apporte une valeur ajoutée à long terme.
À l'instar de TE Connectivity, la société de services Hyland considère la formation des employés comme un levier essentiel pour développer l'expertise en matière d'IA, explique Steve Watt, son DSI. Dans une enquête réalisée en mars auprès de 900 employés exploitant déjà des outils d'IA, Hyland a constaté que 95 % d'entre eux étaient confiants dans leurs usages de la technologie, mais que 98 % souhaitaient davantage de formation ou de support. Plus de la moitié d'entre eux souhaitaient une formation à l'IA spécifique à l'entreprise et près de la moitié des réunions régulières de partage des connaissances. Plus d'un tiers des employés auraient aimé avoir un mentor ou un service d'assistance en matière d'IA.
Une certification pour un employé de la DSI sur deux
À l'image de Malavika Sagar, Steve Watt estime qu'il est utile de conserver et d'accompagner les employés actuels. « Même si nous avons parlé de l'IA générative pour remplacer des rôles ou pour automatiser des opérations, vous ne voulez pas perdre tout le sens des affaires et les connaissances historiques que réunissent ces personnes », souligne le DSI
Même si l'IA remplace certaines fonctions routinières, comme la collecte d'informations et la rédaction d'un rapport d'analyse à partir de ces données, une personne devra toujours l'examiner et en extraire des informations, souligne le DSI. « Les personnes qui rédigeaient des rapports essentiels pour vos équipes d'analyse de données et de reporting sont celles qui ont une connaissance sous-jacente de ce que l'outil d'IA générique fait remonter à la surface », ajoute-t-il.
L'objectif de Steve Watt est qu'au moins la moitié des employés du département informatique de Hyland possèdent une certification de base en IA, qu'elle provienne de Microsoft Azure, Salesforce, AWS ou d'un autre fournisseur, d'ici la fin de l'année. Le DSI souhaite que le département développe un éventail de compétences en IA afin d'anticiper les changements à venir dans son entreprise.
« Nous avons encore beaucoup à apprendre, mais nous essayons de construire une matrice de capacités qui nous aidera à mieux naviguer dans l'IA à l'avenir, dit Steve Watt. Si l'IA ne fait pas partie de votre boîte à outils dans les cinq prochaines années, votre organisation sera très en retard. C'est le meilleur moment pour apprendre, pour commencer à s'acclimater aux changements que la technologie amène. Car elle n'est pas près de disparaître. »
L'IA, tremplin à formations dans les entreprises
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Recruter quelques compétences ne suffira pas. Pour la plupart des entreprises, il faut réorganiser leurs programmes de formation pour remédier aux pénuries de compétences en IA. Car les connaissances métiers des employés en place sont indispensables pour exploiter au mieux la technologie.
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