La chaine logistique est devenue le nerf de la guerre pour de nombreux industriels. C'est aussi désormais, depuis la pandémie de 2020, un des processus les plus complexes et les plus bousculés en entreprise. Renault Group n'y échappe pas, et son general manager process engineering supply chain, Ludovic Doudard, est venu partager, à l'occasion d'une matinée organisée par l'éditeur Dataiku, sa conviction du rôle essentiel d'une intelligence de la donnée pour piloter et maîtriser la supply chain.
Ludovic Doudard dirige une équipe en charge du digital et des process au sein de la logistique. « Cette équipe est un pilier de la transformation digitale de la supply chain, qui dépend justement de l'entité supply chain, et qui se situe volontairement au quotidien, entre le métier et l'IT, précise-t-il. Si vous n'avez personne qui travaille avec la data et l'IA, mais uniquement sur le process, vous n'arrivez pas à la digitalisation. » Même si Ludovic Doudard et son équipe n'ont pas de rôle opérationnel dans l'activité logistique proprement dite, ils sont immergés au quotidien dans le métier. Qui plus est, la supply chain, qui dépendait de la production chez Renault Group, est désormais une entité transversale, qui sert de bout en bout les quatre processus majeurs de l'entreprise (ingénierie du véhicule, manufacturing et efficience industrielle, ventes et relation client).
Souplesse et résilience, plus qu'adaptation
Depuis la pandémie de 2020 en particulier, la supply chain a vécu de plus en plus de ruptures soudaines. On peut évoquer le covid-19 proprement dit bien sûr, avec l'arrêt d'une partie de l'activité logistique d'un côté, et une extrême pression sur l'alimentaire ou le e-commerce, mais aussi les guerres (Moyen-Orient, Russie-Ukraine, attaques en mer rouge, etc.), les grèves dans les transports ferroviaires, routiers ou aériens, les catastrophes naturelles (tempêtes, inondations, tremblements de terre), etc. On pense aussi aux saturations des ports américains après le redémarrage post-covid ou encore au blocage du canal de Suez par le porte-conteneurs Evergreen... Autant d'événements qui engendrent des arrêts, mais aussi des redémarrages soudains de la chaîne logistique. « Or, dans ces situations, il ne s'agit plus seulement de savoir s'adapter, rappelle Ludovic Doudard, mais d'avoir suffisamment de souplesse et de résilience dans le processus pour absorber ces perturbations. »
Renault Group a identifié 5 enjeux principaux en conséquence, avec des implications en matière de transformation numérique. « Nous avons commencé par une refonte de notre S&OP (Sales and operation planning, planification des ventes et des opérations, NDLR), détaille-t-il. La rupture en composants électroniques, par exemple, a eu un impact en profondeur durant des mois ! » Deuxième pilier de la transformation, la bascule d'une supply chain focalisée sur le produit, donc la production, vers une logistique centrée sur la satisfaction du client. Un classique de l'industrie, automobile en particulier, plus facile à décrire qu'à concrétiser. Et qui a commencé par la transition vers une supply chain transversale à l'entreprise.
De plus en plus de décisions au quotidien
Pour faire comprendre l'ampleur de l'enjeu, Ludovic Doudard s'adonne à une comparaison extrême, mais parlante. « Lorsqu'on achète un produit à 3 euros sur Amazon, on connaît tout de suite la date de livraison et on suit la progression du colis en temps réel. Or, pour une voiture d'une valeur de 20 000 euros, on a encore souvent une date de livraison très imprécise. » A ces deux défis principaux, s'ajoutent la réduction des stocks, la performance et la conformité, et la durabilité. Renault Group a donc retravaillé sur sa feuille de route digitale, rédigée en 2017 et basée sur l'analyse de la data, pour passer à une démarche d'« intelligence de la décision ».
« Aujourd'hui, nous devons prendre de plus en plus de décisions au quotidien dans la supply chain, détaille le responsable. Des décisions qu'on ne prend pas parfois du tout, ou qu'on ne prend pas assez vite, ou qui ne sont pas assez précises, ou qui ne s'appuient pas sur des arguments suffisamment détaillés. » Pour mieux maîtriser la complexité, anticiper les risques et se focaliser sur la recherche de performance, Renault a donc travaillé sur la façon de prendre les décisions les mieux informées possibles avec la data.
Une stratégie en 5 étapes
À partir de ces constats, le groupe a redéfini une stratégie digitale pour sa supply chain en 5 étapes. La première consiste tout simplement à digitaliser le processus pour ne plus s'appuyer sur le mail ou Excel. 2e étape, organiser et partager la data issue de ce processus. Renault veut pour cela fournir au métier des briques techniques apportant déjà un premier niveau de valeur avec des référentiels partageables dans tout le groupe. En toute logique, la 3e étape consistera donc à déployer des plateformes collaboratives. « La valeur de cette data, c'est notre capacité à la partager et à la rendre transverse au groupe afin que chacun puisse l'utiliser, confirme Ludovic Doudard. Il faudra aussi en partager à l'extérieur avec nos fournisseurs, nos transporteurs, etc. » Puis, en étape 4, vient l'IA, pour éventuellement automatiser certaines décisions, au-delà des seules préconisations ou recommandations générées par les outils data. Et enfin, la 5e étape doit aboutir à des dispositifs d'intelligence de la data.
La stratégie data et IA au service de la supply chain repose d'abord sur la conception de solutions adaptées au métier, claires et génératrices de gains. Pour cela, l'équipe « digital et process » travaille main dans la main avec la supply chain. La stratégie s'appuie ensuite sur un écosystème data IA déjà prêt à partir de frameworks définis au niveau du groupe. « Avec le fort niveau de digitalisation de la supply chain, pratiquement toute la data nécessaire est déjà disponible dans notre datalake, précise Christian Serrano, manager IA supply chain chez Renault Group. Un important travail qui a été fait dans l'entreprise entre 2018 et 2021, en particulier au sein de la supply chain. Il y a un mythe du datalake qui serait une mer morte. C'est une erreur ! Il faut bel et bien y héberger toutes les données, mais il faut qu'elles soient structurées. L'avantage de la supply chain, contrairement à la production par exemple et aux données issues des machines, c'est que les data sont déjà structurées à la base. »
Recherche opérationnelle, machine learning et GenAI
Enfin, le dernier pilier sur lequel la stratégie data et IA de Renault s'appuie, c'est celui des compétences. L'industriel a ainsi créé des équipes spécifiques IA au sein des métiers, comme celle d'une quinzaine de personnes dirigée par Christian Serrano. Mais l'industriel a aussi conçu des parcours de formation qui vont de l'acculturation jusqu'à la data science, pour embarquer tous ceux qui le souhaitent et faciliter l'accompagnement du changement.
Renault a 5 projets Dataiku en cours depuis décembre 2023, dans les domaines principaux de la supply chain, qui devraient être opérationnels, avec des utilisateurs, fin mars. Un budget IA pour la supply chain de 10 M€ a été débloqué pour 2024, sur un total de 45 M€ que le groupe consacre à la technologie. « Ces projets sont à différents niveaux d'avancement. De l'exploration au précadrage jusqu'à l'exécution et la mise en opération. » Au programme, recherche opérationnelle, machine learning et IA générative. Les travaux en recherche opérationnelle concernent, par exemple, le design de réseau ou « le planning de production avec l'optimisation de la planification dans des crises comme celle des composants électroniques », comme l'explique Christian Serrano.
Estimer les risques fournisseurs avec la GenAI
Le machine learning, lui, est utilisé pour les prévisions de la planification de commandes, ou la réalisation d'estimations de délais et de coûts afin de faciliter la prise de décision. Enfin, côté GenAI, Renault développe un assistant qui facilite la prise en main des outils et permet de répondre avec les données du groupe à des sollicitations métier de la supply chain. « Nous travaillons aussi sur une IA générative pour la gestion des risques fournisseurs, qui classe les actualités qui pourraient avoir un impact sur notre supply chain », raconte également Christian Serrano.
Pour ses projets, Renault a donc finalement opté pour une seule plateforme d'IA, celle de Dataiku. Objectifs : concevoir toutes les fonctions à toutes les étapes et les proposer aux utilisateurs, dans un seul et même outil. Pour Ludovic Doudard, il s'agit globalement de « faciliter l'accompagnement du changement, de simplifier le développement et donc, de réduire le time-to-market de nos produits IA ».
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