Dans son ouvrage intitulé Brouillages d’ondes, l’Agence nationale des fréquences (ANFR) mène l’enquête. L’objectif : faire prendre conscience des multiples cas de brouillages, parfois insolites, que ses agents traitent au quotidien sur le terrain. « Tout le monde utilise des fréquences et chacun doit le faire en ayant conscience des règles à respecter. Nous avons choisi de vous relater 25 missions, menées en ville, en montagne, à la campagne et même en pleine mer, qui s’apparentent à de véritables enquêtes » débute ainsi l’organisme.
L’Agence nationale des fréquences gère l’ensemble des fréquences en France. Créée par la loi de réglementation des télécommunications du 26 juillet 1996, cette dernière a pour mission la gestion du spectre radioélectrique en France. Régulièrement appelée lors de cas suspectés de perturbations d’ondes, elle traite chaque année environ 1 800 brouillages par an et note que la tendance est à l’augmentation. Grâce à son maillage territorial et à l’expertise de ses agents, l’ANFR mène à bien ses missions de contrôle et ses investigations pour localiser et identifier les origines des brouillages radioélectriques. Ses équipes se déploient à travers la France entière à partir de ses services régionaux et antennes ultramarines. Aujourd’hui, elle publie une compilation de ses meilleures histoires de brouillage d’ondes en France et dans les territoires d’outre-mer.
Des histoires à dormir debout
Citer l’ensemble des histoires enlèverait l’effet de surprise que chacune d’entre elles crée. En ce sens, voici une sélection des histoires les plus farfelues de brouillage d’ondes. « Fin 2018, Trappes, dans les Yvelines. Le radar de Météo-France utilisé pour localiser et mesurer l’intensité des précipitations détecte de la pluie vers Paris, précisément dans l’azimut 72°. Pourtant, ce jour-là, pas une goutte ne tombe du ciel… Il fait même très beau » déclare l’ANFR. Celle-ci prend alors le relais et trouvera finalement l’origine du brouillage radar météo à la Tour Montparnasse, soit bien loin de Trappes. Une recherche approfondie les mène jusqu’à un point d’accès Wifi, qui s’avère être utilisé pour le transfert de données d’une borne à selfie positionnée sur la terrasse panoramique.
Au large du Finistère, une autre histoire se trame. Deux marins-pêcheurs utilisent illégalement certaines fréquences et perturbent sans le savoir une expérimentation visant à améliorer les moyens de transmissions radioélectriques des renseignements sur la sécurité maritime (RSM). Un fait bien connu, l’ANFR précisant qu’il s’agit de marins-pêcheurs qui, soit cherchent à cacher leurs zones de pêche à leurs concurrents respectant les canaux autorisés, soit souhaitent simplement échanger des propos personnels sur ces bandes. Ils se verront alors priés de cesser par un brigadier du centre de contrôle international : « Ici le Centre de contrôle international de l’ANFR, cette fréquence n’est pas allouée au trafic de bord à bord, veuillez dégager immédiatement sur une fréquence dédiée au trafic bord à bord. Le fait d’utiliser cette fréquence est un délit sanctionné par la loi. »
Une box et un casque audio défaillants
Une entreprise spécialisée dans le développement d’équipements professionnels GPS et Galileo pour la géolocalisation de haute précision voit son activité perturbée par un brouillage. Le doute est levé sans difficulté non loin dans l’appartement d’une dame âgée : c’est la box internet qui déraille. Elle émet des rayonnements indésirables, juste dans la bande de fréquences réservée au GNSS. Cette box, quoique défectueuse, continuait pourtant d’assurer convenablement l’accès à internet à cette dame, tout en parasitant une bande de fréquences sensible réservée à l’Aviation civile, à la Défense et à l’Espace… Une nouvelle box sera installée quelques jours plus tard.
Dans le Gard, une commune se retrouve sans services 4G dans la bande 800 MHz. Il en va de même dans une zone de 10 km alentour. La seule antenne-relais de la commune ainsi qu’une autre, située à 6 km, sont affectées par un signal perturbateur. L’enquête mène tout droit à une habitation dans un village à 3 km de là. Après une recherche au domicile, il s’avère que le fautif est un casque audio sans fil. A l’ère du télétravail, cet équipement, est largement utilisé. Les agents détectent qu’il émet en dehors de sa bande de fréquences allouée et empiète sur celle de la 4G qui émet en bande 800 MHz. Le casque brouille même sur plusieurs kilomètres à la ronde. Il ne sera plus jamais utilisé. Notons que pendant le confinement, les agents de contrôle de l’ANFR sont restés mobilisés sur le terrain et ont été particulièrement sollicités, du fait de l’augmentation du télétravail et des équipements informatiques détenus à domicile.
L'anti-tracking GPS des voitures, une plaie récurrente
L’histoire n’est pas nouvelle. Un usager utilise un véhicule professionnel mais ne souhaite pas être suivi par son employeur. Souhaitant disparaître des radars, deux d’entre eux ont ainsi eu la bonne idée d’installer un brouilleur GPS pour ne pas être repéré. Une erreur qui aura coûté cher : à l’aéroport de Nantes-Atlantique, un brouilleur GPS placé dans une voiture sur un parking d’aéroport a empêché plusieurs avions de décoller sur les pistes adjacentes. Une fois amenés jusqu’à la voiture, les enquêteurs n’ont eu d’autre choix que de procéder à l’ouverture du véhicule pour désactiver le brouilleur en question. Le propriétaire s’en sortira avec une belle amende et des frais d’intervention.
A proximité de l’aéroport Marseille-Provence, Marignane (Bouches-du-Rhône), l’ANFR se retrouve quatre ans plus tard confrontée au même problème : un véhicule professionnel abrite un brouilleur GPS. L’enquête mène ainsi à l’interpellation du chauffeur qui dissimulait le brouilleur sous la forme d’une clé USB. Mis en garde à vue, l’homme n’a pas encore été entendu par la justice. Rappelons que la possession et l’utilisation d’un brouilleur GNSS sont des délits passibles de six mois de prison et 30 000 € d’amende, auxquels des frais d’intervention de l’ANFR peuvent s’ajouter… Ce qui est cher payé pour vouloir circuler incognito.
Empêcher ses enfants et ses voisins de se connecter au WiFi
Les histoires se suivent et ne se ressemblent pas… Sauf quand il s’agit du WiFi. Au fil de ses enquêtes l’ANFR est tombée à plusieurs reprises sur des individus essayant de bloquer l’accès à autrui à leur box internet à l’aide d’un brouilleur. En l’espace de quelques jours, l’ANFR reçoit ainsi trois demandes d’instruction de brouillage concernant une même zone, par deux opérateurs mobiles différents. Coïncidence plutôt rare, ces signalements présentent la même date de début des interférences et les mêmes zones perturbées : Clermont-Ferrand et plusieurs communes voisines. Les recherches de l’agence l’emmèneront ainsi chez un particulier qui se servait d’un brouilleur multibande pour empêcher les voisins de se connecter en wifi sur la box de son appartement. Une justification qui laisse pensif quand on sait qu’il existe des méthodes moins radicales.
L’histoire se répétera dans les Landes, à Messanges, où un père de famille a installé un brouilleur multibande pour interdire à ses ados d’accéder à internet avec leur smartphone au lieu de dormir. Devenus accros aux réseaux sociaux et autres apps durant le confinement, ce père pensait ainsi avoir résolu le problème… D’où la particularité du brouillage : la perturbation ne se produit jamais avant minuit et cesse le plus souvent vers 3h du matin, tous les jours de la semaine, sans exception. Le père risque la même peine que celle encourue par le chauffeur du véhicule tenant à rester discret aux yeux de son employeur.
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