Le même jour, deux organismes d'État ont publié chacun une étude sur les conséquences de la transformation numérique dans le monde professionnel. Il s'agit d'une part de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE, Ministère des Finances), d'autre part de la direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (DARES, Ministère du Travail). Bien sûr, chacun s'est penché sur un aspect du phénomène en lien avec son orientation générale. Ces études montrent surtout les limites de la transformation numérique dans la réalité, loin des discours techno-enthousiastes.
Dans « L'économie et la société à l'ère du numérique - Édition 2019 », l'INSEE étudie ainsi le paysage du numérique sous un angle statistique et économique. « En 2017, 84 % des ménages ont accès à Internet à leur domicile, soit deux fois plus qu'en 2006 (...) [et] 77 % des ménages disposent d'un ordinateur de bureau ou d'un ordinateur portable à domicile » note ainsi l'INSEE. En ajoutant les téléphones portables, on arrive à 93 % des ménages. Mais il reste tout de même 19 % de la population en situation d'illectronisme total (27 % ayant des compétences numériques basiques), ceux-là mêmes qui risquent une certaine exclusion sociale dénoncée par le Défenseur des Droits Jacques Toubon. Si les personnes âgées sont évidemment souvent en situation d'illectronisme et les générations intermédiaires plus numérisées, l'INSEE brise une idée reçue : « 55 % des jeunes de 15 à 29 ans ont des compétences numériques plus que basiques ». Au final, « 14 % des individus disent encore n'avoir jamais utilisé Internet en 2018 ».
L'e-commerce triomphe arrogamment alors que l'illectronisme persiste
En lien avec cette transformation numérique des ménages, même pas aussi générale que l'on pourrait croire, le e-commerce continue sa progression mais demeure tout de même minoritaire : en 2017, « les ventes dématérialisées représentent 30 % du chiffre d'affaires des sociétés de 250 salariés ou plus ; cette part a doublé en dix ans. » La musique, à l'inverse, s'est vue largement numérisée avec un triomphe de la vente en ligne et du streaming. L'activité dominante sur Internet, avec plus de 70 % d'utilisateurs au cours des trois derniers mois, reste cependant l'échange de courriels, les réseaux sociaux concernant moins de 40 % de la population.
De même, des mouvements vantés publiquement se révèlent plus limités dans la réalité statistique : 9 % du financement total des entreprises seulement provient de plates-formes en ligne en 2018, 14 % de l'hébergement touristique st issu de particuliers via des sites de type AirBnB, les plates-formes de type Uber, Deliveroo ou Hopwork ne contribuent quasiment pas à la création d'emploi et ne sont pas non plus à la base du développement de l'emploi indépendant (6,9 % des indépendants passent par de telles plates-formes). La question des données personnelles est aujourd'hui également une réalité statistique : « En 2018, 88 % des utilisateurs d'Internet ont utilisé une procédure d'identification au cours de l'année pour accéder à des services en ligne (...), 76 % des utilisateurs de smartphone ont déjà restreint ou refusé l'accès à leurs données personnelles (à leur position géographique ou à leur liste de contacts) lors de l'utilisation ou de l'installation d'une application. »
Un impact du numérique sur le travail loin d'être toujours positif
Côté emploi, « en 2017, en France, environ 3 % des personnes en emploi exercent un métier dans les domaines du support informatique et des systèmes d'information, de la programmation, du management et de la stratégie numériques, de la communication numérique, de l'expertise et du conseil numériques, des télécommunications ou de l'analyse de données. » L'INSEE s'attache à décrire l'emploi informatique et les différents métiers que l'on peut définir. Et l'office public ne peut que constater la surpondération francilienne de l'emploi du numérique. Sur l'emploi en général, le numérique a aussi des impacts. L'un des chapitres du document de l'INSEE s'intitule ainsi « Le télétravail permet-il d'améliorer les conditions de travail des cadres ? » Si 11 % des cadres pratiquent le télétravail au moins un jour par semaine, contre 3 % de l'ensemble des salariés, ils peuvent se réjouir d'une certaine souplesse mais aussi craindre des horaires de travail plus étendus et atypiques voire un risque sur leur santé.
La DARES, dans sa propre étude « Quels sont les salariés concernés par le télétravail ? », note ainsi que 61 % des télétravailleurs sont des cadres. Le sexe des salariés n'est pas une source de discrimination en la matière mais la présence d'un enfant de moins de trois ans dans la famille est par contre un caractère entraînant une tendance plus forte au télétravail. Les grands écarts se forment non selon le secteur des entreprises mais en raison des différences de métier. Il est évident qu'un serveur de restaurant a peu de chance de télétravailler alors que « en 2017, le télétravail est relativement fréquent pour les cadres commerciaux et technico-commerciaux (16,2 %) [et] pour les ingénieurs de l'informatique (13,9 %) ». Cependant, le télétravail est plus présent dans les grandes structures que dans les petites, sans différence notable entre le privé et le public. L'âge semble aussi jouer un grand rôle : les juniors sont faiblement télétravailleurs. Le critère pertinent est peut-être plutôt un certain niveau hiérarchique. Et même si le télétravail facilite la vie, notamment en limitant les temps de transport, les télétravailleurs ont, pour la DARES également, un risque supérieur de mauvaise santé par rapport aux non-télétravailleurs.
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