Même si nous sommes encore à des années de l’ordinateur quantique pratique, l'humeur était à l'optimisme parmi les grands chercheurs, investisseurs et responsables gouvernementaux du monde entier venus la semaine dernière (9 au 11 septembre) à Washington pour participer au troisième congrès annuel Quantum World Congress. Des annonces importantes ont été faites dans les domaines de l'informatique quantique, de la mise en réseau quantique et de l'investissement. IBM, Microsoft et Boeing (voir notre sujet du 11 septembre) avaient tous des annonces importantes à faire, et certains signes indiquent que l'industrie pourrait entrer dans une nouvelle phase de développement.
Percées de l'informatique quantique
« Pendant la majeure partie de l'histoire de l'informatique quantique, la quasi-totalité de la recherche s'est concentrée sur le développement du matériel sous-jacent », a expliqué Jay Gambetta, vice-président chargé de l'initiative quantique d'IBM. Mais l'aspect logiciel est encore plus important lorsqu'il s'agit d'applications d'entreprise réelles. Ainsi, IBM a annoncé ce qui s'apparente à une sorte de magasin d'applications pour les logiciels quantiques. Six fonctions sont aujourd'hui disponibles dans le catalogue de fonctions Quiskit Functions Catalog de big blue et de ses partenaires. Quatre de ces fonctions font abstraction de la gestion des performances et améliorent la correction des erreurs et les performances. Deux rendent inutiles la compréhension des circuits quantiques, l'une dans l'espace d'optimisation et l'autre dans le domaine de la chimie. « C’est un tremplin vers des bibliothèques et un futur magasin d'applications », a ajouté M. Gambetta.
Désormais, les personnes spécialisées dans des domaines d'activité spécifiques peuvent commencer à expérimenter l'informatique quantique sans avoir besoin d'être elles-mêmes des scientifiques quantiques. « Cette accessibilité des domaines quantiques accélère la course à la recherche d'applications utiles ». M. Gambetta a rappelé que depuis 2016, IBM mettait l'informatique quantique à la disposition de ses clients, via le cloud, et que des centaines d'institutions utilisaient sa plateforme. « Nous allons nous concentrer sur la construction de la plateforme et nous voulons que tous les innovateurs et les start-ups s’impliquent dans la découverte d'algorithmes », a-t-il poursuivi. « Jusqu'à cette annonce, je ne pensais pas que c'était vraiment faisable, mais je crois aujourd’hui que nous disposerons de cas d'entreprise dans les prochaines années », a-t-il reconnu.
1000 qubits pour exécuter toutes les tâches
De son côté, Microsoft a aussi affirmé qu’elle disposait de la plateforme d'informatique quantique la plus fiable au monde. « La plateforme Azure Quantum Compute va plus loin que le service Azure Quantum Service et réunit plus de qubits logiques et une informatique quantique plus fiable », a ainsi affirmé Krysta Svore, vice-présidente chez Microsoft chargée du développement quantique avancé. La semaine dernière, lors du Quantum World Congress, Microsoft a annoncé un partenariat avec Continuum pour créer 12 qubits logiques, ce qui, selon Krysta Svore, est le plus grand nombre de qubits logiques jamais enregistré. Quantinuum a fourni le matériel quantique et Microsoft s'est chargé de la correction des erreurs. Certes, ces ordinateurs quantiques sont encore trop petits pour faire ce que ne peuvent pas faire les ordinateurs classiques, mais ils peuvent déjà permettre aux entreprises d'expérimenter des cas d’usage et de tester des algorithmes. « Nous sommes entrés dans l'ère de l'informatique quantique fiable », a-t-elle avancé.
Selon Mme Svore, il faudra environ 100 qubits logiques fiables pour effectuer des calculs scientifiquement utiles, et environ 1 000 qubits logiques pour disposer d'un ordinateur quantique polyvalent capable d’exécuter des tâches qui ne sont pas à la portée des ordinateurs classiques. « Nous avons aussi fait une démonstration - la première au monde - d'un flux de travail hybride intégré entre Azure HPC, les qubits logiques et l'IA », s’est-elle félicitée. C'est une étape importante, car le traitement quantique, comme les GPU, ne remplacera probablement pas des ordinateurs entiers, mais agira plutôt comme un accélérateur, en prenant par exemple en cas de besoin le relais pour résoudre des problèmes autrement insolubles. À l'instar de M. Gambetta d'IBM, Mme Svore estime que l'avantage quantique devrait être atteint avant 2030.
Qubits logiques contre qubits physiques
Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que l'ordinateur de 12 qubits annoncé la semaine dernière est trois fois plus grand que les quatre qubits logiques du mois d'avril et, surtout, que le nombre de qubits physiques est passé de 30 à 56. Cela signifie que le nombre de qubits logiques a augmenté beaucoup plus rapidement que le nombre de qubits physiques sous-jacents requis. « Nous constatons une croissance continue du nombre de qubits logiques », a fait remarquer Jennifer Strabley, vice-présidente et directrice générale de Quantinuum. « Les performances des qubits logiques sont meilleures que celles des qubits physiques sous-jacents ». Celle-ci pense également que 2029 sera le point de bascule pour les applications commerciales de l'informatique quantique. Étant donné que l'une de ces applications potentielles consiste à casser le cryptage existant, l'annonce par le NIST de normes de chiffrement à l'épreuve des quanta, en août dernier, ne pouvait pas mieux tomber.
Selon Chirag Dekate, analyste chez Gartner, il est logique que les entreprises qui se concentrent sur la recherche et le développement tirent parti d'une plateforme combinant l'informatique quantique avec l'informatique à haute performance et l'intelligence artificielle. « Pour elle, la question est de savoir si elles veulent innover ou rester sur la touche. La combinaison de l'IA et du calcul haute performance leur permet d'explorer un espace de conception plus large, dans la santé, les services financiers, la fabrication et au-delà. Et elles commencent à identifier les points d'inflexion où l’informatique classique n’apporte plus rien et où l’informatique quantique devient un avantage », a-t-il expliqué. « Les entreprises s'associent à des fournisseurs de plateformes quantiques comme Microsoft, IBM et Amazon », a-t-il ajouté. « Elles mettent la main sur ces systèmes et explorent ce qu'il faut pour développer des applications dans un contexte quantique. C'est un véritable défi, mais il s'agit d'activités réelles auxquelles participent les chercheurs et les entreprises ».
Elargir le périmètre du quantique
Jennifer Addie, experte en investissements quantiques, directrice de l'exploitation du consultant VentureScope et directrice de la stratégie chez MACH37, un programme d'accélération cyber, se réjouit de l'annonce de Microsoft. « Pour ceux qui suivent les évolutions, les progrès sont significatifs et plus rapides que ce à quoi s'attendaient la plupart des gens », a-t-elle fait remarquer. « Pendant longtemps, beaucoup ont pensé que les ordinateurs quantiques étaient encore loin et que les entreprises avaient tout le temps de se préparer. Or, ce moment est plus proche qu'on ne le pense », a-t-elle affirmé. « Et bien que la recherche sur l'informatique quantique soit encore principalement financée par des subventions, la communauté des investisseurs a commencé à parier sur la technologie », a-t-elle poursuivi. « MACH37 s'adresse aux entreprises en phase de démarrage », a-t-elle précisé. « Nous avons investi dans plusieurs entreprises quantiques différentes. Le fait que les start-ups puissent désormais accéder facilement aux ordinateurs quantiques via des plateformes cloud a facilité l'entrée de nouveaux types d'entreprises dans ce domaine, et pas seulement celles qui travaillent sur des questions de physique fondamentale. Certaines travaillent par exemple sur la cybersécurité et d'autres applications de l'informatique quantique ».
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