Dans le cadre de notre Grand Théma CIO / Le Monde Informatique consacré à l'IA, nous avions reçu à l'occasion d'une première émission Thales et Socotec ainsi que le chercheur Jean-Gabriel Ganascia pour comprendre comment les entreprises publiques et privées organisent leur stratégie d'IA. Notre seconde émission s'intéresse à la façon dont les organisations accélèrent et industrialisent désormais leurs programmes d'IA.

Comme nombre de leurs homologues, Suez et TotalEnergies exploitent les technologies d'IA depuis au moins une décennie, mais s'organisent pour rationaliser, accélérer et rentabiliser cette stratégie. Pour décrypter leur démarche et les résultats associés, nous avons reçu dans notre studio Claire Mathieu, directrice data et IA au sein de l'entité Digital Solutions chez Suez, et Michel Lutz, CDO et responsable data et IA de la digital factory de TotalEnergies.

Repérer, localiser et prévenir les fuites d'eau chez Suez

Claire Mathieu dirige une équipe data et IA au sein de Digital Solutions qui s'attelle à accélérer l'usage de l'IA dans les solutions digitales. Elle travaille en collaboration avec l'autre entité data et IA de Suez, hébergée au sein de l'IT et qui se concentre, elle, sur la gouvernance des data et la gestion des plateformes. Claire Mathieu a partagé avec nous deux projets d'IA, chacun dans une des activités de Suez, à savoir la gestion de l'eau et la gestion et la valorisation des déchets. « Chez Suez, le métier de l'eau est un métier mûr en matière de technologie depuis longtemps », a insisté la directrice data et IA. Le groupe a installé de plus en plus de capteurs de tous types sur ses installations au fil du temps et dispose donc d'une imposante quantité de données.

« En moyenne, 20% de l'eau distribuée se perd dans des fuites », a rappelé Claire Mathieu. Pour endiguer celles-ci, Suez a démarré en mesurant le débit, les variations de pression, etc., avant de déployer petit à petit sur cette base des algorithmes de Machine Learning. Une des pistes pour améliorer la détection de fuite, mais aussi pour les géolocaliser plus précisément ou les prévenir, repose, par exemple, sur l'intégration de données météo et d'images satellitaires sur lesquelles les dégâts sont d'ores et déjà visibles.

Identifier les déchets pour les valoriser

Dans l'activité déchets, Suez n'a encore pour l'instant qu'une vision très macro et quantitative de ce qui rentre et sort de ses usines. Autrement dit, difficile pour l'entreprise de savoir si le tri est efficace ou non. L'entreprise a d'abord tenté de savoir ce que contienne les balles de déchets qui sortent de ses installations à partir de computervision. Mais celle-ci ne pouvait analyser que les déchets visibles en surface du cube, et non son contenu. Suez continue néanmoins d'explorer cette piste avec d'autres technologies, mais s'est surtout tourné, toujours avec de la computervision, vers l'analyse des déchets en cours de tri. L'entreprise a installé des caméras sur chaque tapis et exploité les images pour entraîner des algorithmes à identifier des typologies de déchets (forme, matière, aspect, etc.) et calculer le taux de pureté en papier ou en plastique par exemple. Le dispositif vise à améliorer la performance du processus existant, mais aussi à le faire progresser.

Retrouvez notre émission L'accélération et l'industrialisation de l'IA chez Suez et TotalEnergies

Notre second intervenant, Michel Lutz, a rappelé que TotalEnergies, historiquement centré sur le pétrole et le gaz, travaillait à accroître son activité dans l'électricité, les énergies renouvelables et les nouvelles molécules. Une évolution de la stratégie qui s'appuie en particulier sur le numérique. L'industriel compte, en effet, générer 1,5 md€ de valeur chaque année avec le digital, dont 80% sur la base de projets basés sur la data et l'IA, selon Michel Lutz. Si l'entreprise exploite la data et l'IA depuis les années 90, dans des domaines complexes comme l'exploration par exemple, l'arrivée de la GenAI fin 2022 a donné de la visibilité à ces technologies. « Elle a aussi permis de la mettre entre les mains de tout le monde, a expliqué Michel Lutz. Les technologies précédemment employées étant réservées à des spécialistes ».

L'électricité et les ENR, des domaines 'data intensive'

TotalEnergies a organisé ses activités data et IA en 3 couches. L'infrastructure IT partagée pour commencer. Puis, le data management organisé en réseau, avec des data officers dans toutes les grandes branches opérationnelles, coordonnés par Michel Lutz. Et, enfin, les usages avec des spécialistes en data science, par exemple. La digital factory quant à elle évolue selon 3 grands axes de travail : les outils d'amélioration de la sécurité de l'entreprise, la réduction des émissions de CO2 et l'accompagnement dans le développement de l'électricité et des énergies renouvelables. « Deux domaines particulièrement data intensive », rappelle le CDO.

Parmi les projets développés récemment, ce dernier a évoqué une aide à la décision pour le déploiement de panneaux solaires. Avec l'exploitation d'images satellites pour trouver les espaces disponibles et des algorithmes pour calculer le potentiel solaire de ceux-ci. Autre projet, dans la filiale spécialisée dans le stockage industriel de l'énergie Saft, des algorithmes de prédiction de risques pour accompagner les ingénieurs qualité, en exploitant les mesures réalisées sur les batteries.

Retrouvez notre émission 
L'accélération et l'industrialisation de l'IA chez Suez et TotalEnergies


Du côté IA générative, l'entreprise combine une démarche d'IA en self service, avec un déploiement de Microsoft Copilot à l'échelle, et des projets davantage corrélés à un métier spécifique, et principalement développés avec les outils des fournisseurs de cloud. Comme ce projet permettant, via une approche RAG, de capitaliser sur les retours d'expérience suite aux incidents de production dans les raffineries.

Au sein du groupe, l'IA pose des enjeux d'industrialisation puisque 600 modèles environ sont en production. « Le sujet, c'est la gestion à l'échelle de ce parc de modèles qui est appelé à grandir », souligne Michel Lutz. Pour avancer sur ce terrain, TotalEnergies a imaginé un Cockpit IA, point d'entrée unique vers tous les modèles permettant de contrôler le patrimoine d'IA en production. Une façon également d'anticiper la conformité à l'AI Act européen.