Sennheiser a décidé de développer un produit entièrement digital sur la base de la technologie Wireless Multi-Channel Audio Systems (WMAS). Celle-ci permet la transmission en haut débit sans fil de plusieurs canaux audio avec un seul et unique équipement. Aujourd'hui, pour capter et diffuser chacune des voix d'une chorale dans une salle de concert ou un studio, par exemple, il faut encore équiper chaque micro d'un matériel séparé. Or, un seul appareil WMAS suffit à gérer jusqu'à 32 entrées et autant de sorties audio. Comme l'explique le CIO de Sennheiser, Rüdiger Hein, la solution adapte individuellement et numériquement, le nombre, la qualité et la portée des canaux en fonction des besoins de chaque micro.
Un backend dans le cloud
Derrière ce produit, un nouveau business model auquel le service informatique contribue en travaillant sur le socle technologique sous-jacent. « Nous intégrons le backend de la solution dans le cloud, précise ainsi Rüdiger Hein, pour personnaliser l'expérience client, mais aussi connaître le niveau de satisfaction des utilisateurs et leurs fonctions préférées grâce à de l'analytique, pour ensuite leur faire des recommandations d'autres produits et d'autres fonctions. »
Pour accompagner la transformation de l'entreprise vers ces nouvelles offres digitales et rendre sa contribution tangible, le service informatique a défini une stratégie en 3 piliers. Le premier réside dans la génération d'activité avec le digital. Le deuxième consiste à passer d'une équipe informatique classique centrée sur les processus à une entité au rôle de facilitateur digital. Enfin, le 3e pilier repose sur la livraison de réalisations concrètes dès aujourd'hui.
Entre Scrum et Kanban
Pour le backend de ses futurs produits digitaux à base de WMAS, Sennheiser a opté pour Microsoft Azure. Il y intégrera la solution complète et les applications analytiques, la gestion des identités et celle des clients. « Les trois principaux hyperscalers cloud [Azure, AWS et GCP, ndlr] auraient tous convenu à notre projet, tient à préciser le CIO, mais Azure nous assure une meilleure intégration de nos SI internes dans le cloud. »
Le service informatique collabore avec les équipes développement logiciel, business development et commerciales, en particulier celles qui s'occupent des futures offres WMAS. « Cela demande beaucoup de coordination, insiste Rüdiger Hein. Nous devons concilier le développement matériel et logiciel des produits, le développement logiciel des systèmes métier et l'intégration étroite de l'ensemble. » Et c'est là qu'intervient le deuxième pilier stratégique qui fait de l'informatique un facilitateur. L'équipe a déployé une organisation agile en seulement six mois. « Nous n'avons pas dit adieu à l'organisation classique, précise le CIO, mais nous avons mis en place des équipes transverses qui regroupent dans des groupes virtuels des développeurs, des responsables commerciaux et opérationnels. » Elles travaillent selon un modèle que Rüdiger Hein appelle Scrumban, à la croisée de Scrum et Kanban. « Nous planifions le projet dans un Kanban dans Azure, mais nous utilisons Scrum pour déployer les releases et pour donner de premiers résultats dès les premières semaines de travail. »
Généraliser la culture agile
Mais, pour le CIO, Sennheiser a besoin d'une culture agile allant bien au-delà du seul développement logiciel et il a donc décidé fin 2022 de basculer tout le service IT en Scrumban. La méthode a été définie au printemps 2023, avec de premières formations aux nouveaux workflows en juin suivant. La bascule est finalement effective depuis novembre 2023. « Nous disposons déjà de plus de 900 "work items" dans nos tableaux Kanban, précise Rüdiger Hein. Et nous commençons déjà à exploiter cette méthode pour la collaboration avec les métiers. » Le Scrumban de Seinnheiser lui sert aussi à bâtir un Digital Operating Model (DOM) commun à tous pour le lancement de chaque produit WMAS.
« Avec Scrumban, nous n'avons pas dit adieu à l'organisation classique, mais nous avons mis en place des équipes transverses qui regroupent dans des groupes virtuels des développeurs, des responsables commerciaux et opérationnels », dit Rüdiger Hein, CIO de Sennheiser (Photo : Sennheiser).
Progressivement, d'autres business units ont demandé un backend similaire intégré et opéré par l'informatique. Pour répondre, l'équipe IT a installé un centre de service partagé, le Digital Shared Service (DSS), en Pologne, qui lui permet de disposer d'un important pool de compétences en nearshore. Les employés du DSS ont aussi une expertise cloud, sont organisés en équipes DevOps et auront à la fois la responsabilité de l'ingénierie et des opérations.
Trois data hackathons
« Ce que nous voulons finalement, c'est développer des composants métiers utilisables dans différentes business units pour obtenir une architecture modulaire », insiste le CIO. Et pour lui, le modèle agile aide justement l'IT et les métiers à rapidement transformer les idées en solutions. La DSI a, par exemple, organisé 3 data hackathons avec des équipes de 12 personnes venant des métiers, du développement et de l'IT. « Ils ont développé des produits data en quelques jours à peine dont plusieurs ont été déployés, comme la mesure du niveau d'acceptation des produits Sennheiser par leurs utilisateurs, mais aussi un bot en IA générative, SennAI. » Les employés peuvent par exemple interroger ce bot sur le reach d'une campagne marketing ou les différents formats de contenus disponibles. « Pour ces modules, nous avons utilisé des services d'IA cloud existants, nous les avons étendus, configurés et adaptés à nos sources internes. Nous n'avons absolument pas eu besoin de développer de logiciel complémentaire. »
Data mesh et gouvernance de la donnée
Le data product SennAI va devenir un des composants du data mesh mis à disposition de tous, appelé Dataverse. « Les employés peuvent s'approprier des données et décider d'en verser certaines dans le data mesh. Et à l'inverse, ils peuvent extraire des données provenant d'autres data products, explique le CIO. Le marketing peut accéder à des données de la supply chain et vice versa. »
Pour lier les data products entre eux dans le cloud de façon standard, Sennheiser compte exploiter les outils d'éditeurs comme Snowflake ou Databricks dans Azure. « De cette façon, tous les composants que nous développons suivent certaines règles précises en matière de technologie et d'API. » Seinnheiser bâtit également une marketplace pour ses data products. Une gouvernance centrale y régule la façon dont les outils data et IA doivent être manipulés ou le type de technologies qui peuvent être utilisées dans les produits. Elle inclut un guide de création de nouveaux data products auquel les data owners doivent adhérer.
Dernière brique : la consolidation des ERP
Enfin, pour que cette stratégie data fonctionne efficacement, l'équipe de Rüdiger Hein a entrepris de consolider la vingtaine d'ERP installés chez Sennheiser depuis 20 ans. « Ce projet, appelé Kopernikus, est le plus important de notre planning pour les 4 prochaines années », insiste le CIO. Sennheiser veut repartir d'une page blanche avec un tout nouvel ERP qui consolidera l'ensemble des solutions satellites. L'objectif est de disposer d'un flux continu de data. Le nouvel ERP reposera sur le Dataverse et interconnectera les data products ou encore les solutions analytiques.
Pour Rüdiger Hein, le jeu en vaut la chandelle : « ce projet va non seulement nous permettre de consolider nos nombreux ERP, mais il va aussi nous donner les moyens d'imaginer de tout nouveaux business models, résume le DSI. Nous pourrons générer du revenu récurrent, optimiser les processus et l'expérience utilisateurs et finalement, devenir une entreprise data driven. Si WMAS est considéré comme un tournant dans l'industrie audio professionnelle, Kopernikus le sera tout autant pour Sennheiser. »
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