Le chief data officer est-il un animal rare, s’interrogeait-on ce matin sur la table ronde consacrée à ce profil dans le grand amphithéâtre du salon Big Data Paris 2017 (Porte Maillot, 6-7 mars). Quelles compétences doit-il avoir et comment le recrute-t-on ? Alors que ces postes sont de plus en plus souvent pourvus dans les grandes entreprises, entourés d’équipes qui s’étoffent, il s’agit encore « d’une fonction en création, en transformation », a brossé Benoît Binachon, co-fondateur et associé d’Uman Partners, un cabinet de recrutement (créé par d'anciens opérationnels) qui se consacre aux fonctions relatives à la Data. « Le contexte sur ce sujet est mouvant et instable, il faut bien définir ce qu’on lui demande ». Par sa dénomination de « chief », il est censé être un cadre « C level » et apporter au comité exécutif de l’entreprise tant le savoir que le pouvoir pour actionner le levier de la donnée qui transformera la performance de l’organisation. Dans les faits, rappelle Benoît Binachon, il est souvent sous la direction d’un autre CDO, le chief digital officer, qui pilote la stratégie de transformation numérique de l’entreprise. D’une part, le chief data officer ne travaille pas seul, il a souvent un data lab, avec des data scientists et différents autres profils technologiques, d’autre part, il va s’adresser à des personnes qui ne sont pas forcément au fait des technologies les plus en pointe. « Son rôle est d’interroger les patrons industriels, de la finance, etc. sur leurs besoins et de transformer ceux-ci en solutions data et, inversement, il va proposer des choses que les métiers n’auraient pas imaginées », décrit l’associé d’Uman Partners. Les chief data officers doivent avoir une vraie capacité à appréhender différents sujets, en particulier big data, en s’appuyant par ailleurs sur les compétences d’un juriste.
Yannick Bolloré, PDG d'Havas, intervenant sur la table ronde "Le chief data officer : nouvel avantage concurrentiel de votre stratégie".
Pour les dénicher, il ne faut pas commencer à les chasser ailleurs, estime Benoît Binachon, « il faut les créer », selon lui. Cela dit, « ils se créent assez bien tout seul », constate-t-il en dressant le portrait d’un profil venu d’organisations confrontées à ces différents sujets, qu’il s’agisse de start-ups ou d’industries, et qui ont connu beaucoup de cas d’usages. Signe distinctif : « il sait parler aux dirigeants, être parmi eux, c’est un élément important », complète Benoît Binachon. A ses côtés justement, ce matin sur Big Data Paris 2017, un dirigeant. Yannick Bolloré, président-directeur général d’Havas, expose que, sur le terrain de la data, son entreprise s’est attachée « toute une équipe de très grands mathématiciens et chercheurs » dont les codes, reconnaît-il, sont très différents de ceux des profils marketing et publicitaires qui constituent les rangs d’Havas. Et comme il est « très facile de se perdre dans la donnée, nous avons décidé de rester un groupe de publicité et demandé aux ingénieurs de se mettre au service d’un groupe de publicité », a exposé le PDG. A-t-il nommé un chief data officer au comex ? Il y a eu des CDO chez Havas, mais ils ne veulent plus occuper ce poste, estimant être passés dans un monde post-digital, relate Yannick Bolloré, en rappelant qu’il y a parmi les collaborateurs de la société de nombreuses personnes arrivées dans les toutes dernières années.
Des enjeux différents autour des données
« Je ne suis pas à l’aise pour nommer un chief data officer », a avoué sans détour Yannick Bolloré en expliquant avoir, comme bien d’autres, passé des heures dans des séminaires et séances de brainstorming à réfléchir à la question. Pour arriver au constat que « les gens qui travaillent sur les data insights, sur le CRM - donc sur les données clients - ou encore sur l’analytique et la performance commerciale ont des enjeux assez différents », rappelle le PDG d’Havas. « Sans oublier la partie privacy qui va recouvrir des enjeux importants [NDLR : avec le règlement européen sur la GDPR qui s'applique en mai 2018 et dont il a aussi été beaucoup question ce matin]. En réalité, on emploie les mêmes mots pour des choses très différentes », pointe à juste titre le PDG d'Havas.
Emmanuelle Payan, chief data officer de Société Générale, aimerait que chaque collaborateur de la banque devienne « data fluent ».
Sur la table ronde de Big Data Paris 2017, c’est au tour d’un chief data officer de présenter son rôle. Emmanuelle Payan occupe cette fonction depuis 2015 au sein de Société Générale. Passée par Deloitte et Kurt Salmon, elle connaît bien le secteur bancaire et s’est beaucoup penchée sur les technologies, le cloud et les méthodes agiles, mais en tant que CDO, elle n’est pas au comex. Société Générale a un fonctionnement très décentralisé avec des personnes qui travaillent sur les données sur chacun des métiers de la banque, explique-t-elle. Deux missions principales pour le CDO : rechercher de nouveaux services et protéger les données des clients. D’autres sujets liés à la qualité des données et à la conformité réglementaire sont portés par d’autres. « Nous considérons que nous devons être un acteur éthique du traitement des données », a indiqué Emmanuelle Payan. Il faut donc définir cette stratégie et aider les métiers à la mettre en place. « La dernière de mes missions est de développer cette culture des données ». Son objectif, livré sur le ton de l’humour, est que chaque collaborateur de la banque devienne « data fluent », a lancé ce matin la CDO.
Travailler sur des sujets d'intérêt général plutôt que sur le churn
A sa suite, Simon Chignard, responsable de l’édition de données de la mission Etalab, qui coordonne la politique d’ouverture des données publiques au sein de la Dinsic, a rappelé que la France avait été le premier pays à se doter d’un chief data officer. En septembre 2014, Henri Verdier (devenu depuis directeur de la Dinsic) avait ainsi été nommé administrateur général des données. « Nous avons travaillé sous sa direction sur plusieurs leviers de transformation », a indiqué Simon Chignard en ajoutant que le CDO de l'Etat remet chaque année des conclusions au premier ministre, ce qui lui confère un certain poids. Du côté technologique, il travaille avec une petite équipe de data scientists qui a pu explorer différentes domaines comme l’analyse de consommation énergétique de bâtiments, la prédiction de vol de véhicules dans certaines régions ou, encore, le site Bob emploi (en version bêta) qui propose aux demandeurs d’emploi des recommandations pour les aider à cibler les entreprises qui vont recruter.
Enfin, sur le terrain des compétences, « nous avons initié le programme Entrepreneur d’intérêt général en proposant des défis pour recruter 11 personnes qui viennent chez nous comme des intrapreneurs pour les relever, par exemple sur des outils de visualisation sur l’accidentologie », a rappelé Simon Chignard. « Concrètement, il s’agit d’attirer des gens de l’extérieur ». Qu’est-ce qui a pu conduire vers Etalab des data scientists si difficiles à dénicher ? Sans doute pas le montant du salaire proposé par le secteur public, plaisantait-on ce matin. Non, « ce qui les a motivés, ce sont les sujets d’intérêt général sur lesquels on peut leur proposer de travailler », a exposé Simon Chignard. Plus clairement, certains data scientists ne souhaitent pas plancher toute leur vie sur le retargeting publicitaire ou le churn (pour repérer les clients qui risquent de partir à la concurrence), même si évidemment, ils ne pourront pas prétendre dans le public aux niveaux de salaire que peuvent leur proposer les entreprises. Aux candidats intrapreneurs, Henri Verdier a notamment dit : « Je vous promets des projets sur lesquels vous pourrez percevoir l’utilité sociale », a confié ce matin le data editor d’Etalab.
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