Lors du lancement de son casque Vision Pro en juin, Apple a exposé une variété d'utilisations possibles de son masque de réalité mixte orientées vers le grand public comme simuler une immersion dans une rencontre sportive. Toutefois, comme le justifie le terme « Pro » dans le nom du produit, le fabricant a aussi insisté sur le fait que l'appareil est également destiné aux environnements de travail. Or, alors que d'autres fournisseurs de casques de réalité virtuelle et augmentée, tels que Meta, Google et Magic Leap, ont déjà lancé leurs produits à l'assaut des entreprises, mettre un accent manifeste sur le ciblage des professionnels était encore chose rare pour Apple.
« Le Vision Pro est unique dans le sens où Apple a parlé de cas d'utilisation grand public et de divertissement, bien qu'il se focalise clairement sur des cas d'usage professionnel, en partie parce que c'est un produit très cher », commente Tom Mainelli, analyste chez IDC. Même si son tarif de 3 500 $ HT peut entraver son adoption généralisée, le Vision Pro sera disponible l'an prochain avec le potentiel de devenir un outil de productivité. « L'un des biais principaux par lequel Apple essaie de positionner le Vision Pro comme un casque pour le digital workspace est de promouvoir son usage comme une extension, voire un remplacement, du desktop ou du notebook », explique Leo Gebbie, analyste chez CCS Insight.
Des capacités d'affichage potentiellement infinies sur Mac
Du point de vue de la productivité individuelle, le VisionOS (le système d'exploitation du Vision Pro) peut créer plusieurs écrans virtuels, accessibles en réalité augmentée, tout en donnant à l'utilisateur la possibilité de voir son environnement grâce à la fonction « pass through » du casque. En outre, le clavier sans fil et le pavé tactile d'Apple peuvent être utilisés pour interagir avec les applications, comme c'est également possible via le mouvement des yeux et de la main ainsi que la voix. « Le cas d'usage qui émerge d'emblée est de disposer de capacités d'affichage potentiellement infinies lorsque vous travaillez sur un Mac », lance Tom Mainelli. « C'est peut-être le cas d'usage le moins séduisant pour un produit tel que le Vision Pro, mais je pense aussi que c'est probablement le plus réaliste à court terme », poursuit l'analyste.
En plus des applications conçues par Apple, notamment Freeform pour le brainstorming, Keynote pour les présentations et FaceTime pour les visioconférences, les utilisateurs du Vision Pro auront également accès aux outils de productivité de Microsoft (Excel, Word, Teams) et aux applications collaboratives de Zoom et Cisco. Une gamme plus large d'applications de collaboration et de productivité sera probablement disponible l'année prochaine. Tom Mainelli estime que d'autres utilisations dans l'environnement professionnel sont susceptibles d'aller plus en avant dans l'aspect collaboratif, comme la possibilité pour les concepteurs d'interagir avec des objets 3D ou encore l'accueil et la formation des collaborateurs.
Le Vision Pro est en revanche moins adapté à un usage en situation de mobilité, même pour l'assistance à distance des travailleurs de terrain. Il s'agit pourtant d'un domaine où la réalité augmentée à déjà fait ses preuves dans le monde professionnel. Mais, la conception du casque d'Apple - qui n'est pas vraiment léger et nécessite d'y brancher une batterie d'une autonomie d'environ deux heures en déplacement -et la part belle qu'il fait à la réalité virtuelle immersive aboutissent à ce que les travailleurs de terrain ne trouveront pas l'appareil aussi utile que leurs homologues assis derrière un bureau. « J'ai le sentiment que le Vision Pro a été principalement conçu pour les employés sédentaires, plutôt que pour d'autres cas d'usage plus interactifs », confirme l'analyste de CCS Leo Gebbie.
Le Vision Pro est-il apte au travail ?
En dépit des lourds investissements des géants de la technologie tels qu'Apple et Meta dans le développement de la réalité virtuelle et augmentée, la création d'équipements confortables, faciles à utiliser et d'un prix raisonnable s'est avérée inatteignable jusqu'ici. Les premiers commentaires de ceux qui ont essayé le Vision Pro indiquent qu'Apple a partiellement répondu à certaines de ces préoccupations. Mais le prix du Vision Pro reste un obstacle majeur à son acquisition.
Le coût relativement élevé du casque d'Apple, qui reste inférieur à certains casques de « qualité professionnelle » comme ceux de Varjo et HTC, s'explique par le choix de composants haut de gamme visant à offrir une meilleure expérience utilisateur que les alternatives moins chères. A titre d'exemple, le Vision Pro arbore des écrans OLED haute résolution, censés s'apparenter à un écran 4K pour chaque oeil, qui facilitent grandement la lecture de texte dans les applications. « Avec les casques de réalité virtuelle moins chers, le problème est que la fidélité du rendu n'est pas assez élevée pour pouvoir travailler avec pendant une durée quelconque, et certainement pas pendant des heures », explique Tom Mainelli.
Offrir une expérience utilisateur relativement fluide est également important pour la productivité des collaborateurs. Il s'agit d'une domaine où les fournisseurs de casques concurrents d'Apple sont à la peine. « Apple apporte son savoir faire en matière de fluidité et de simplicité d'utilisation de son catalogue de produits et de logiciels. Cela va permettre aux collaborateurs de réfléchir plus sereinement aux éléments de leurs flux de travail qu'ils pourraient déplacer vers l'informatique spatiale. Apple est particulièrement fort dans ce domaine, où des concurrents comme Meta ne sont pas encore parvenus à rivaliser », estime Leo Gebbie.
La demande initiale devrait être faible
Malgré l'évaluation généralement positive de ceux qui l'ont essayé, le Vision Pro ne devrait probablement pas être adopté par un grand nombre d'entreprises au moment de son lancement. Certains pensent qu'Apple lui-même anticipe des ventes relativement limitées, du moins, par rapport à celles de ses Mac, iPad et iPhone. Bloomberg a écrit que les prévisions de ventes portaient sur 900 000 unités l'an prochain, en partie à cause de problèmes de production et, bien sûr, de prix de vente.
« Le Vision Pro n'est pas près de remplacer les ordinateurs portables des collaborateurs. Son déploiement et celui de produits équivalent à un niveau significatif ne se produira pas avant des années », anticipe Leo Gebbie. « A l'heure actuelle, si un employeur veut équiper un salarié pour collaborer avec ses collègues, il lui suffit généralement de lui fournir un ordinateur portable. Le salarié dispose alors d'un écran, d'un clavier, d'une webcam, et possiblement de Zoom ou de Teams. De plus, déployer un laptop coûte relativement peu cher », poursuit-il.
Les futurs plans d'Apple pour la réalité augmentée
Le Vision Pro n'est probablement qu'une toute première étape dans la stratégie à long terme d'Apple autour de la réalité virtuelle et, plus important encore, de la réalité augmentée. L'objectif immédiat est de susciter l'intérêt et d'inciter les développeurs à créer des applications qui attirent un public plus large. Des rumeurs circulent déjà sur la prochaine itération du Vision Pro, avec un appareil moins cher qui serait en cours de développement. Mais produire un appareil à un prix plus adapté pour une adoption généralisée est un grand défi. « Vu le coût élevé des composants d'un casque d'AR/VR, les entreprises ne doivent pas s'attendre à ce qu'Apple fournisse un casque de puissance similaire à un tarif nettement inférieur de sitôt », préviens Tom Mainelli.
Sachant que le lancement du Vision Pro doit intervenir au premier trimestre 2024, en supposant qu'il n'y ait pas de retard de production, une version plus grand public pourrait être disponible d'ici un an ou deux. « Et même cet appareil n'est peut-être pas un produit que l'on s'attend à voir acheter dans des quantités semblables à celles de l'Apple Watch », indique Tom Mainelli. « Apple s'est lancé dans un voyage qui va durer une décennie et le Vision Pro n'est que la première étape », pense-t-il.
Le récent rachat de Mira
En tous cas, Apple avance clairement. Selon The Verge, il a récemment acquis Mira, une startup qui vend des casques AR et des logiciels destinés à l'assistance à distance pour les travailleurs de l'industrie. L'appareil de Mira s'appuie sur un iPhone pour alimenter l'interface du casque. Il est encore difficile de dire comment cet énième rachat de start-up par Apple va s'intégrer dans la stratégie à long terme du fabricant. Une hypothèse est que la firme à la pomme pourrait intégrer la technologie de Mira dans ses propres produits ou, plus probablement, l'ajouter à son expertise et à sa propriété intellectuelle. L'acquisition peut également être considérée comme un indice de l'orientation du plan d'Apple à long terme : produire des lunettes connectées qui ne seraient pas plus gênantes que les montures de lunettes ordinaires. Cela profiterait alors autant aux entreprises qu'au grand public.
Leo Gebbie de CCS pense que « l'acquisition de Mira montre qu'Apple se concentre toujours clairement sur la réalité augmentée comme objectif, pour obtenir un appareil qui ne tient pas l'utilisateur éloigné du monde extérieur de la même manière le Vision Pro ». « Du point de vue de la future feuille de route d'Apple, il ne fait aucun doute, dans mon esprit, que l'objectif final de sa stratégie dans l'informatique spatiale est de lancer des lunettes intelligentes de réalité augmentée. Les lunettes intelligentes sont le nirvana pour beaucoup de gens dans cet espace », ajoute-t-il.
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