Les secteurs de la data analytics et de l’informatique sont régulièrement cités comme ceux où le déficit de compétences est le plus important. Ce constat amène ainsi la plupart des entreprises à construire des programmes de reskilling, qui cherchent à développer les compétences des collaborateurs en programmation, en analyse de données ou encore en mathématiques. Toutefois, chercher, avant tout, à répondre à un besoin immédiat de connaissances ou de compétences techniques serait une erreur. La durée de vie de ces compétences est en effet de plus en plus courte : selon l’OECD, elle se site entre 12 et 18 mois, et va en diminuant. Là où un humain développera une compétence, une machine l'apprendra beaucoup plus rapidement peu après. Par ailleurs, même si on pourrait penser qu’il est possible d’anticiper les besoins à plus long-terme, ce n’est pas forcément le cas, pour deux raisons.
D’une part, les humains sont assez mauvais pour prédire des choses, en raison de nombreux biais cognitifs, de difficultés à comprendre les tendances statistiques ou à synthétiser des données. Par exemple, alors que l’apogée du télétravail était attendue dans plusieurs années, la quasi-totalité des salariés français a dû réussir à s'adapter du jour au lendemain suite aux annonces de confinement. D'autre part, les changements, qui plus est dans le secteur informatique et digital, sont trop rapides pour être anticipés. En témoigne par exemple l’évolution du nombre de frameworks de développement et leurs mises à jour régulières, qui amènent chaque développeur à devoir apprendre en continu sous peine d’être rapidement dépassé.
Un potentiel comportemental combinant 3 facteurs
Construire des programmes de reskilling pertinents et efficaces à long-terme appelle dès lors à redéfinir la notion de talent à l'ère du digital. Continuer à envisager le talent humain sous le prisme des compétences techniques, de l'expérience ou des diplômes, c'est oublier ce qui fait la réelle spécificité humaine, et c'est se mettre dans une position de concurrence - perdue d'avance - avec les machines. Dans un environnement en disruption constante, le changement devient la seule certitude : aussi, même si vous formez vos collaborateurs aux métiers et technologies en demande, ces connaissances deviendront très vites obsolètes à mesure des perfectionnements technologiques. Dans ce cas, si le collaborateur n’est pas en mesure de ré-apprendre ou en mesure de se réinventer pour toujours répondre à de nouveaux besoins, les efforts effectués, peu importe leur succès à court-terme, auront été inutiles à plus long-terme. A l’inverse, parier sur le potentiel comportemental, et sur les collaborateurs qui savent (et veulent) apprendre continuellement, vous apportera plus de flexibilité pour répondre aux besoins actuels et futurs, et minimisera les risques liés aux changements de votre activité.
Le potentiel comportemental d’une personne est envisagé comme étant la combinaison de trois facteurs : la façon dont elle raisonne et apprend (ses capacités), ce qui la met en mouvement (ses motivations) et la façon dont elle se comporte (sa personnalité). Ces talents naturels, en plus de mieux répondre à l’incertitude actuelle, sont par ailleurs les critères les plus prédictifs de la réussite au travail. Aussi, à un moment où personne ne sait réellement quelles compétences métiers seront nécessaires dans le futur, le meilleur pari est de miser sur les personnes qui seront le plus en capacité (et auront le plus envie) de les développer. Avant de penser à aider vos collaborateurs à acquérir de nouvelles compétences techniques ou métiers, votre stratégie de reskilling doit ainsi être, en priorité, orientée sur le recrutement et le développement de leurs compétences humaines et de leur capacité à apprendre. Quand ce coeur de compétences comportementales sera solide et la curiosité permanente, vous aurez alors plus de facilités pour proposer des formations adéquates et pertinentes pour chacun, conciliant dès lors les intérêts naturels de la personne aux enjeux stratégiques de votre entreprise.
Répondre à un double challenge
Ce changement de paradigme dans ce qui fait réellement « talent » laisse toutefois entrevoir deux challenges majeurs. Le premier est de prendre conscience que les entreprises ne sont pas seules responsables du renouvellement des compétences des collaborateurs. Développer une force de travail adaptée aux nouvelles exigences passe en effet nécessairement par la refonte du système d’éducation, qui semble dorénavant inadapté aux besoins de compétences des entreprises, et très peu explicatif de la réussite au travail. Les universités ou écoles doivent ainsi passer plus de temps à apprendre aux étudiants comment apprendre, à les aider à développer leur curiosité et leur esprit critique, et surtout à les orienter vers des programmes qui correspondent réellement à leurs compétences et intérêts naturels.
Trop nombreuses sont, par exemple, les formations dans le secteur informatique qui regorgent d’étudiants beaucoup plus séduits par les promesses d’embauche liées au domaine d’activité…que par le métier en lui-même. S’en suit un manque d'investissement dans la formation (beaucoup se contentant des enseignements en « classe » sans chercher à approfondir les sujets), des diplômés qui ne sont pas opérationnels pour le marché du travail, ou qui ont des difficultés à trouver un emploi à cause d'un manque d'intérêt évident et éliminatoire. Ce changement dans la formation requiert aussi de se détacher de la vision traditionnelle qui évalue la réussite scolaire à travers les seules notes aux examens : à ce titre, une récente étude démontre que les écoles qui misent sur le développement des compétences socio-émotionnelles de leurs étudiants ont de meilleurs résultats à court et long terme. En France, plusieurs initiatives existent déjà dans ce sens, comme par exemple une école de commerce qui recrute ses étudiants sur base de leur personnalité.
Le second est de comprendre que ce sont les data, et pas l’intuition, qui permettent de mesurer le plus objectivement le potentiel comportemental et d’apprentissage des collaborateurs. Trop souvent, dans l’évaluation du potentiel, les recruteurs et managers ont tendance à surestimer leur intuition, pensant l’évaluation des facteurs comportementaux comme étant innée à l’être humain. Le cerveau humain est pourtant naturellement soumis à plusieurs centaines de biais cognitifs, qui font que la plupart de nos choix sont faits pour des raisons cachées. En plus de conduire à des erreurs de recrutement ou de management, cette tendance empêche les entreprises d’avoir accès aux informations dont elles ont réellement besoin pour mettre en place des initiatives de reskilling efficaces : 59% des entreprises estiment ainsi qu’elles manquent d’informations pour savoir si leurs salariés sont prêts pour l’avenir. Afin de rester compétitives, les entreprises ont ainsi tout intérêt à développer une culture data-driven qui, au-delà d’une simple accumulation de données, vise surtout à prendre des décisions sur base de celles-ci : amasser des données peut sembler proactif, mais si les décisions ne sont pas prises en fonction de ce qu’elles racontent, l’intérêt est nul. A ce titre, l’utilisation de tests psychométriques, couplée à des algorithmes prédictifs, permet aujourd’hui de facilement identifier les talents et d’objectiver la gestion des compétences, en donnant accès à des données réellement explicatives de la réussite au travail, et sur lesquelles il est aisé de capitaliser.
Conclusion
Les actions de reskilling doivent devenir des stratégies à long terme basées sur la valorisation des compétences comportementales. Avant d’être une question de technologies, la transformation digitale appelle ainsi à une réorganisation autour du capital humain et de sa capacité à se réinventer continuellement. Les entreprises doivent ainsi comprendre que la notion de talent nécessite un nouveau prisme d’analyse, de compréhension et de décision : le talent, c’est avant tout une affaire d’adéquation entre la personnalité et le poste visé.
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