En direct de Shanghai - Malmené depuis plusieurs mois par l’administration Trump, Huawei est aujourd’hui dos au mur. Devant la menace de pénurie de composants Intel, AMD, Nvidia, Qualcomm, Broadcom, ARM (pour le design des puces) et – tout aussi important - de support technique, le constructeur chinois est obligé d’accélérer ses programmes de R&D dans le domaine des contrôleurs serveur/stockage, des accélérateurs NPU (unité de traitement neuronal) et des puces réseau. Lors de son événement Huawei Connect (du 18 au 20 septembre à Shanghai) qui rassemble environ 35 000 partenaires, clients et employés, le fournisseur chinois a ainsi mis en avant sa stratégie promouvant l’IA pour accompagner la transformation numérique dans les entreprises (de la santé, de la finance et du transport principalement) et les ressources matérielles nécessaires à son bon fonctionnement. Pour montrer qu’il ne compte pas rester prisonnier des humeurs américaines, le chairman de Huawei, Ken Hua, a mis l’accent lors de sa keynote sur les investissements dans le compute (voir roadmap processeurs ci-dessous) sans oublier l’indispensable écosystème applicatif. « Ces 30 dernières années, nous avons beaucoup investi dans les connexions, mais pour nous la connexion et le compute sont aujourd'hui les deux technologies très importantes, des jumeaux inséparables. Dans le monde actuel, il est aujourd’hui nécessaire d’investir dans les connexions et le calcul ».
La roadmap processeurs de Huawei repose sur les designs d'ARM. (Crédit Huawei)
Les serveurs Intel Xeon n’ont pas disparu du catalogue Huawei, mais le chinois se dit près à poursuivre le développement de sa plateforme alternative ARM, même sans le soutien de la société britannique. « Nous poursuivrons le développement de nos puces ARM à partir d’ARM v8 si nous ne pouvons pas utiliser la génération suivante », nous a indiqué Song Kai, directeur de la communication de Huawei et ancien directeur général de la filiale française. Fort de son marché intérieur encore très dynamique, Huawei est bien décidé à gagner son indépendance technologique. Le Chinois, qui compte environ 4 300 fournisseurs dans le monde, est aujourd’hui obligé de chercher des alternatives pour 93% de ses composants selon Song Kai. « Nous entendons construire une relation sur une durée de 10 à 15 ans avec nos clients. Avec nos positions sur les marchés asiatiques et africains, nous n’allons pas disparaître », nous a indiqué le dirigeant. « Si nous pouvons continuer à utiliser Intel et ARM, c’est très bien, mais nous travaillons à des alternatives. Nous réalisons pourtant des achats d’un montant de 11 milliards de dollars aux États-Unis alors que nos ventes sur le marché américain ne représentent qu’une enveloppe de 100 millions de dollars seulement. Toutes les cartes sont aujourd’hui dans les mains des Américains. Pour notre part, nous restons stables en essayant d’être un bon élève ». Derrière cette expression surprenante, Huawei entend montrer qu’il est prêt à collaborer avec des partenaires américains en licenciant par exemple sa technologie 5G à des acteurs comme AWS ou Facebook, et même à ouvrir le code source de certaines solutions.
Retrouver la confiance des décideurs IT
Le credo poussé par le chairman de Huawei lors de sa keynote se résume en trois mots « faites nous confiance ». Et pour accompagner le discours, le fournisseur met aujourd’hui sur la table une enveloppe de 1,5 milliard de dollars pour renforcer le développement de son écosystème logiciels. « Des équipes spécifiques seront déployées pour aider nos partenaires à développer des applications exploitant nos propositions matériels », a assuré Ken Hu. L’objectif fixé est d’encourager les développeurs et partenaires à travailler sur les solutions proposées par Huawei un peu partout dans le monde. Le Chinois a bien compris que – même à l’heure du cloud à outrance - sans applications exploitant nativement ses puces ARM serveurs et ses accélérateurs NPU, le combat était perdu d’avance. Si on comprend facilement que Linux sera toujours incontournable comme OS serveur, la stratégie matérielle maison mise d’un côté sur les puces serveur Kunpeng 920 (64 cœurs à 2,6 GHz sur base ARM v8-64 bits) et de l’autre sur la plateforme Ascend 910 IA avec des accélérateurs Da Vinci (NPU) travaillant avec des nœuds x86 ou ARM. L’architecture Da Vinci a été conçue pour concurrencer les accélérateurs IA Nvidia Tesla (GPU) au sein de la solution DGX (avec des nœuds Intel Xeon), qui sont aujourd’hui plébiscités pour les traitements IA en local.
Concurrente directe de la solution Nvidia GDX, la plateforme Ascend 910 IA de Huawei nécessite encore des puces x86 ou ARM pour démarrer. (Crédit D.R.)
Mais le nerf de la guerre est également à chercher du côté de l’indispensable framework IA nécessaire au bon fonctionnement de la solution Ascend 910. Baptisé MindSpore, ce dernier prend en charge un grand nombre de scénarios IA (machine learning, deep learning...) grâce à son architecture AI Algorithm As Code qui aide les développeurs à concevoir des applications exploitant des traitements IA et à former plus rapidement leurs modèles d’apprentissage. Selon Huawei, l'IA en est encore à ses premiers stades de développement, et il y a un certain nombre de lacunes à combler avant qu’elle puisse devenir une technologie à usage général. Le fournisseur chinois entend combler ces lacunes et accélérer l'adoption de l’IA à l'échelle mondiale tout comme ses concurrents Google Tensorflow ou PyTorch.
Un cluster pour les traitements IA
Première itération de la plateforme Ascend 910 IA avec le cluster Atlas 900 qui revendique une puissance de calcul de 256 à 1024 pétaflops suivant la configuration. Ce noeud HPC spécialement dédié aux traitements IA a déjà été testé, en mode cloud, par le programme SKA (Square Kilometre Array) pour la cartographie automatique de près de 200 000 étoiles. 169 personnes par jour étaient hier nécessaires pour traiter les données récoltées par les batteries de radiotélescopes et d’antennes installées en Afrique du Sud et en Australie. Avec l’Atlas 900, le temps de traitement est tombé à 10,02 secondes pour l’analyse de 600 Po de données.
Huawei renforce sa présence sur le marché du calcul intensif avec son cluster Atlas 900 dédié aux traitements IA. (Crédit Huawei)
Désormais pleinement conscient de sa très forte dépendance aux technologies américaines, Huawei entend faire cavalier seul si ses relations commerciales ne reviennent pas à la normale avec ses fournisseurs de composants. Le parcours sera toutefois très difficile face à des concurrents comme Dell EMC, Cisco et HPE qui bénéficient toujours du soutien technique plein et entier d’Intel, Microsoft, Nvidia ou encore Broadcom. Sans entrée dans des considérations géopolitiques, le problème avec l’épée de Damoclès brandie par l’administration Trump, c’est qu’elle peut vraiment retomber à n’importe quel moment. Reste aujourd'hui à savoir comment les partenaires intégrateurs et revendeurs accueilleront et expliqueront cette stratégie à leurs clients. Si Huawei possède les ressources pour mener à bien sa transformation, les clients auront-ils la patience et la confiance d'attendre alors que la concurrence compte bien profiter de la faiblesse du Chinois.
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