Facebook est encore dans la tourmente. Déjà sous le feu du Congrès américain en novembre dernier pour avoir laissé des fermes de trolls - téléguidées par Moscou - influencer le vote de millions d'américains aux élections présidentielles de 2016, le géant des réseaux sociaux affronte une polémique d'une ampleur inédite.
Depuis ce week-end, Facebook est en effet sous le feu d'Amy Klobuchar, sénateur du Minnesota et membre de la commission des affaires juridiques du Sénat américain, et de Damian Collins, membre du parlement et à la tête d'une enquête parlementaire sur les fakes news et le rôle de la Russie dans le référendum sur le Brexit. Ces deux éminentes personnalités juridiques et politiques demandent des comptes au réseau social pour s'expliquer sur le fait d'avoir fermé les yeux sur les agissements de Cambridge Analytica concernant l'exploitation et la violation de 50 millions de profils Facebook. L'utilisation de ces données a permis de soutenir l'élection de Donald Trump en 2016. Mais ce n'est pas tout car Maura Healey, procureur général du Massachusetts, a aussi annoncé ce week-end l'ouverture d'une enquête visant Facebook et Cambridge Analytics.
Le point de départ de cette rocambolesque affaire débute vendredi dernier avec les révélations de Christopher Wylie, ancien employé de la firme Cambridge Analytica spécialisée dans le conseil en communication politique et filiale de la société britannique en marketing SCL Elections (Strategic Communication Laboratories). Le lanceur d'alertes, qui a travaillé chez Cambridge Analytica jusqu'en 2014, a dévoilé que son ancien employeur avait acheté des données personnelles issues de profils Facebook à l'insu de leurs utilisateurs à des fins de campagnes marketing politiques très ciblées pour influencer l'élection de Donald Trump. Cambridge Analytica aurait acquis une montagne de données - il est question de 50 millions de profils Facebook à Aleksandr Kogan via sa structure Global Science Research (GSR), chercheur à l'université de Cambridge. Mais il est aussi professeur associé de l'université de St-Petersburg subventionné, d'après The Guardian, par le gouvernement russe pour des recherches sur l'état émotionnel des utilisateurs de Facebook.
SCL et Cambridge Analytica radiés de Facebook
Au coeur de l'intrigue, Cambridge Analytica, fondée en 2013 et dirigée par Alexander Nix (également à la tête de SCL Elections), une société détenue par l'influent investisseur pro-républicain Robert Mercer qui a injecté dedans 15 millions de dollars. Parmi les têtes pensantes à l'origine de la controversée Cambridge Analytica, figure par ailleurs Steve Bannon, stratège politique d'extrême droite (alt-right aux Etats-Unis) ayant mené Donald Trump à la victoire. C'est cette société qui a - d'après Christopher Wylie - utilisé depuis 2014 les informations personnelles de 50 millions d'utilisateurs de Facebook pour alimenter un système permettant de cibler des profils individuels d'électeurs américains avec de la publicité politique personnalisée. « Nous avons exploité Facebook pour collecter des millions de profils d'individus. Et construit des modèles pour exploiter ce que nous savions d'eux et cibler leurs démons intérieurs. Voilà la base sur laquelle toute cette société est construite », a expliqué Christopher Wylie à l'Observer.
Face à la découverte de ce gigantesque mécanisme d'exploitation marchande à grande échelle de données personnelles à des fins de marketing politique, Facebook et Cambridge Analytica ouvrent grand leur parapluie. « Nous avons suspendu de Facebook SCL, incluant leur société d'analyse de données politiques Cambridge Analytica [...] Protéger les informations des individus est au coeur de tout ce que nous faisons. En 2015 nous avons appris qu'un professeur de psychologie de l'Université de Cambridge, Aleksandr Kogan, nous a menti et violé nos règles d'utilisation en transférant des données d'une app utilisant Facebook Login [thisisyourdigitallife, NDLR] vers SCL/Cambridge Analytica, une société faisant du travail politique, gouvernemental et militaire. Il a aussi transféré ces données à Christopher Wylie, d'Euonia Technologies [...] La plainte concernant le fait qu'il s'agisse d'une brèche de données est complètement fausse. Alexandr Kogan a eu accès à des données d'utilisateurs enregistrés dans cette app [270 000, NDLR] et à tout ceux impliqués pour avoir donné leur consentement [incluant les relations partagées de ces utilisateurs soit près de 50 millions de personnes, NDLR]. Les gens ont fourni en connaissance de cause leurs informations, aucun système n'a été infiltré et aucun mot de passe ou informations sensibles n'ont été volées ou piratées », a expliqué Paul Grewal, vice-président et avocat général de Facebook.
Pots-de-vin, espions recyclés et prostituées aussi utilisées ?
Quant à Cambridge Analytica, il tente de désamorcer comme il peut la situation : « Cambridge Analytica se conforme pleinement aux conditions de service de Facebook et est en contact avec Facebook après ses récentes déclarations sur la suspension de la société de sa plateforme [...] Les divisions commerciales et politiques de Cambridge Analytica utilisent les plateformes des réseaux sociaux pour du marketing et la diffusion de contenus axé sur des données vers des audiences ciblées. Ils n'utilisent pas ou ne conservent pas les données de profils Facebook [...] En 2014 nous avons engagé une entreprise dirigée par un universitaire apparemment réputé dans une institution de renommée internationale pour piloter un projet de recherche à grande échelle aux Etats-Unis. Cette société, GSR, a été contractuellement engagée pour obtenir uniquement des données conformes à la loi britannique sur la protection des données et de la loi sur la protection des données collectées [...] Aucune donnée de GSR n'a été utilisée par Cambridge Analytica dans le cadre de services rendus pour la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016. Cambridge Analytica reçoit et utilise uniquement les données obtenues légalement et équitablement. Nos politiques robustes de protection des données sont conformes aux réglementations américaines, internationales, européennes et nationales », a indiqué Cambridge Analytica.
Une stratégie de défense tout juste entachée par d'autres révélations toutes fraîches émanant cette fois d'un document vidéo publié par Channel 4 mettant à jour des pratiques pour le moins discutables de la société et de son CEO Alexander Nix, concernant l'emploi de pots-de-vin, d'anciens espions du MI5 ou du MI6 voire de prostituées pour piéger des responsables politiques...
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