Les projets d'entreprise sont généralement évalués sur la base de matrices standard telles que le retour sur investissement (ROI), le seuil de rentabilité et le capital investi. Mais alors que les organisations cherchent à tirer rapidement parti de la puissance des nouvelles technologies pour développer leurs activités, cette approche ne répond plus aux attentes. « Les initiatives numériques sont innovantes et bien qu'il soit justifié d'anticiper leur retour sur investissement, une approche inflexible des rendements spécifiques à chaque projet IT ne permettra pas à certaines idées audacieuses d'aboutir », juge Sushant Rabra, associé chez KPMG.
De plus, les entreprises sont aujourd'hui plus enclines à se concentrer sur des horizons à court terme, plutôt que sur des initiatives de grande envergure qui mettent des années à produire des résultats, observe Sunil Mehta, directeur informatique de la société de conseil en management BDO India. « Les entreprises ne veulent plus de plans à trois ou cinq ans. Elles sont passées à une planification à court terme, à 90, 180 ou 360 jours. Et elles ne veulent plus attendre le résultat d'un projet pour le compléter par la suite. Les organisations souhaitent désormais lancer des projets en parallèle plutôt que de manière séquentielle », tranche le DSI.
C'est ici qu'intervient l'approche par portefeuille, dans laquelle les différents projets IT sont gérés à la manière d'un portefeuille d'actions. « L'approche par portefeuille s'apparente à celle d'un individu qui investit différents montants dans différentes actions pour se constituer un portefeuille financier et qui s'attend ensuite à des rendements différents pour chacun de ces actifs sur une période donnée », explique Sushant Rabra de KPMG. Et d'étendre l'analogie aux responsables informatiques : « Dans une telle approche, un DSI répartira son capital d'investissement entre différentes initiatives numériques, en espérant une valeur différente pour chacune d'entre elles. Un ou deux projets pourraient rapporter 5 fois leur investissement, tandis que d'autres viseraient davantage des facteurs multiplicateurs entre 1 et 2. Cependant, tous ces projets apporteront une valeur ajoutée à l'entreprise et aux différentes parties prenantes. »
En somme, pour capitaliser sur les gains offerts par le numérique, les DSI construisent des portefeuilles technologiques en allouant divers investissements en fonction du risque, des bénéfices et de la valeur potentiels. « Une telle approche basée sur le risque est importante, car elle donne à l'organisation une nouvelle impulsion en matière d'expérimentations, impulsion qui peut la propulser sur une nouvelle orbite », estimez Sushant Rabra. Mais, pour que l'approche par portefeuille soit profitable à l'entreprise, mieux vaut en passer par le respect de quelques bonnes pratiques essentielles.
1/ S'aligner sur les objectifs de l'entreprise
Le portefeuille de projets de la DSI doit être en phase avec l'orientation, la vision et les objectifs de l'entreprise. Par exemple, si une entreprise vise une croissance rapide, l'acquisition de nouveaux clients et l'amélioration de l'efficacité et de la productivité sont des considérations importantes. Par conséquent, le DSI devrait construire son portefeuille d'initiatives de transformation numérique autour de ces thématiques.
R. Anand Laxshmivarahan, directeur IT et du digital au sein du conglomérat indien Jubilant Bhartia Group, l'explique par un exemple : « L'organisation d'un industriel peut être divisée en trois grands blocs - fabrication, chaîne d'approvisionnement, ventes et marketing - au sein desquels l'entreprise s'efforce de réaliser des gains d'efficacité. Dans un premier temps, les responsables IT doivent donc évaluer la valeur qu'ils peuvent dégager au sein de ces trois blocs afin d'influer sur les résultats de l'entreprise. Ils peuvent ainsi envisager de tirer parti du numérique pour influer sur des fonctions métiers cruciales tels que la réduction du coût des matières premières ou l'augmentation du rendement pour produire plus en moins de temps, l'amélioration de l'efficacité énergétique ou encore la réduction des coûts logistiques ». Les DSI peuvent constituer un portefeuille de projets dans ces domaines, afin de fournir à l'organisation une valeur prédéfinie sur une base annuelle.
« Les échecs sont fréquents et certains projets peuvent ne pas produire le retour sur investissement escompté. C'est exactement l'objet d'une approche par portefeuille. Certains projets au sein du portefeuille peuvent donner des résultats supérieurs aux attentes, tandis que d'autres vont rester en deçà des prévisions. Dans notre cas, si je regarde les cinq dernières années, le portefeuille de solutions dans différents domaines a atteint un niveau de maturité satisfaisant. En outre, cela nous a également aidés à réduire notre dépendance excessive à l'égard des consultants dans de nombreux domaines », explique le CIO de Jubilant Bhartia Group, qui emploie près de 50 000 personnes.
2/ Équilibrer les investissements et les risques
De nombreux responsables IT de tous secteurs mettent en oeuvre de nouvelles technologies à un rythme effréné. Dans leur empressement à constituer rapidement un portefeuille de projets portant la transformation numérique de leur organisation sur la base de technologies disruptives, ils ont tendance à ignorer les risques associés aux investissements informatiques. En conséquence, ils élaborent des plans qui manquent d'équilibre entre l'appétence de l'entreprise pour le risque et la nécessité d'une certaine flexibilité au sein du portefeuille de projets.
Les DSI doivent donc travailler en étroite collaboration avec le directeur financier afin de s'assurer que l'ensemble du portefeuille soit conforme à la stratégie budgétaire de l'entreprise. « Le DSI doit surveiller de près les performances financières de son portefeuille », explique Sunil Mehta de BDO India. « Et ils doivent veiller à respecter les limites de leur budget. Si un montant X est nécessaire pour un certain projet, il n'est pas rare de voir les coûts augmenter d'un facteur 2 ou 3. C'est là que réside le danger. Les responsables informatiques adoptent une approche par portefeuille pour obtenir un avantage concurrentiel stratégique, mais s'ils ne sont pas personnellement impliqués dans les projets, les coûts peuvent grimper en flèche. Ils doivent rester aux manettes et garder le contrôle des personnes impliquées dans les projets. S'il faut laisser libre cours aux idées, à l'expérimentation, les coûts et délais doivent rester sacro-saints. Le DSI doit adopter une approche prudente et calculer ses risques. »
3/ Structurer les entrées et sorties du portefeuille
Les investisseurs individuels surveillent de près leurs portefeuilles d'actions. Pour maximiser la valeur, ils revoient régulièrement la composition de ceux-ci, en introduisant ou en retirant des actifs, assurant ainsi un renouvellement régulier de leurs portefeuilles. Une approche que les DSI seraient bien inspirés de copier. « Pour le portefeuille de leurs projets numériques, les responsables informatiques doivent avoir un horizon temporel », explique Sushant Rabra. « Quand des sociétés de capital-risque investissent dans des entreprises, elles ont l'habitude d'y rester pendant quatre à six ans avant de se retirer. De la même façon, les DSI ne peuvent donc pas rester investis indéfiniment dans certains projets. »
Et d'ajouter : « Il faut instaurer un roulement basé sur des critères structurés d'entrée et de sortie du portefeuille. La technologie évolue rapidement. S'il s'agit de l'IA générative aujourd'hui, il pourrait s'agir d'autre chose demain. Lorsque les responsables informatiques décident de constituer un portefeuille, ils ne doivent pas commencer par ajouter des projets technologiques au hasard. D'abord, ils doivent garder à l'esprit l'alignement technologie-métier. Ensuite, ils doivent être prêts à se retirer si un PoC [proof of concept] ne respecte pas les délais et dépasse les efforts prévus ou si un projet n'évolue pas dans la direction souhaitée. » Selon lui, les DSI doivent évaluer les projets présents dans leur portefeuille à un rythme prédéfini - tous les 6 ou 12 mois par exemple.
4/ Gérer les attentes des parties prenantes
L'avantage d'une approche par portefeuille pour la transformation numérique est que les DSI peuvent faire plusieurs paris technologiques en même temps. « Les responsables IT peuvent prendre cinq initiatives différentes simultanément, mais lorsqu'il y a autant de projets en parallèle, l'exécution va demander du temps. Ils doivent donc expliquer clairement à l'équipe dirigeante quel délai va être nécessaire pour passer à la phase opérationnelle », explique R. Anand Laxshmivarahan, de Jubilant Bhartia Group.
« Le portefeuille de projets devra être géré par grandes d'étape, typiquement de 18/24/30 mois. Les DSI doivent classer les projets par ordre de priorité en fonction de leur valeur, et communiquer clairement le calendrier à toutes les parties prenantes. La gestion des attentes est cruciale pour le succès de l'approche par portefeuille », ajoute le DSI. Sans oublier d'inclure une période tampon de quelques semaines lorsqu'ils communiquent les calendriers à la direction générale. En cas de retard, cette marge de manoeuvre permettra d'atténuer la pression et le stress de l'équipe informatique.
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