L'IA générative est encore à un stade précoce, mais l'engouement qu'elle suscite est manifeste. Les responsables IT doivent cependant avoir conscience des nombreux défis associés avant d'engager résolument leur entreprise dans cette voie. Lors du Gartner IT Symposium/Xpo organisé du 21 au 24 octobre à Orlando (Floride), les analystes ont particulièrement insisté sur l'impact de la GenAI sur les systèmes, mais aussi les équipes IT. Dès le discours d'ouverture, la question suivante a été posée : « le monde de l'intelligence artificielle est exaltant et souvent exténuant, et le rythme de l'innovation peut sembler impossible à suivre. D'ailleurs, faut-il pour réellement le suivre ? »

« Les DSI peuvent tout à fait décider du rythme de leur passage à la GenAI », a répondu Hung LeHong, vice-président analyste du Gartner. « Les entreprises qui ont des ambitions modestes en matière d'IA, dans un secteur qui n'est pas encore reformaté par elle, peuvent avancer à pas plus mesurés, plus réguliers. Pour celles avec de plus grandes ambitions ou qui travaillent dans un secteur transformé par l'IA, le rythme sera plus rapide. Mais, dans tous les cas, il leur faudra apporter de la valeur et des résultats. » C'est sur cette base de réflexion que les analystes du Gartner ont partagé un certain nombre de points de vue sur la GenAI tout au long du symposium, parmi lesquels 10 enjeux majeurs.

1 - Après les fournisseurs d'infrastructures, au tour des DSI d'investir
« Aujourd'hui, les investissements en GenAI proviennent principalement des fournisseurs d'infrastructure », a rappelé John-David Lovelock, vice-président analyste distingué chez Gartner. « Mais dès 2025, les entreprises utilisatrices vont elles aussi commencer à dépenser pour des projets de GenAI au-delà du simple POC. Les DSI investiront davantage d'argent, mais reverront néanmoins leurs attentes à la baisse en ce qui concerne le potentiel de la GenAI. La réalité de ce qu'il est possible d'accomplir avec les modèles actuels et l'état des données dans les DSI ne répondront pas aux fortes attentes actuelles. »

2 - Une explosion des dépenses en infrastructure serveurs
Toujours selon John-David Lovelock, l'impact de la GenAI sur les datacenters va largement éclipser celui du cloud et de l'externalisation de ces dernières années. « Il a fallu 20 ans aux fournisseurs de cloud et aux spécialistes de l'externalisation pour porter leurs dépenses en serveurs à 67 milliards de dollars par an. Entre 2023 et 2028, la demande en GenAI va quasiment faire tripler les ventes de serveurs ... »

3 - La nécessité de nouvelles approches de gouvernance hors IT
Avec leur prolifération à tous les niveaux de l'entreprise, l'IA et les data ne sont plus des actifs centralisés, directement contrôlés par l'IT. D'après une enquête réalisée par Gartner auprès de plus de 300 DSI, en moyenne à peine 35 % des solutions d'IA seront conçues par les équipes IT. Cela signifie que de nouvelles approches sont nécessaires pour gérer et protéger l'accès aux données, assurer la gouvernance des entrées et des sorties des systèmes d'IA et en extraire en toute sécurité de la valeur.

4 - Des gains de productivité variables
Pour générer de la valeur business avec la GenAI, il faut impérativement l'intégrer au coeur des processus de travail. Dans une enquête réalisée par Gartner au deuxième trimestre 2024 auprès de plus de 5 000 digital workers aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Inde, en Australie et en Chine, les répondants ont déclaré gagner en moyenne 3,6 heures par semaine avec la GenAI. Mais tous n'en tirent pas le même avantage. « Les gains de productivité générés par l'interface GenAI ne sont pas répartis de manière égale. Ils varient selon les employés, non seulement en raison de leur intérêt personnel et de leur niveau d'adoption, mais aussi en fonction de la complexité de leur travail et de leur niveau d'expérience », a pondéré Hong LeHong.

5 - Un risque fort de mésestimation des coûts
Selon une enquête réalisée par le Gartner en juin et juillet 2024 auprès d'un panel de plus de 300 DSI, plus de 90 % de ces derniers estiment que la gestion des coûts limite leur capacité à tirer parti de l'IA pour leur entreprise. Le cabinet d'analyse voit effectivement le coût comme un risque aussi important pour l'IA que la sécurité ou les hallucinations. Selon le Gartner, si les DSI ne comprennent pas comment les coûts de la GenAI s'articulent et évoluent, ils pourraient se tromper de 500 à 1000 % dans leurs estimations.

6 - Prendre en compte les réactions des employés face à l'IA
Si certains employés manifestent une forte affinité pour l'IA, d'autres se sentent menacés, voire montrent du ressentiment vis-à-vis de la technologie. Ces réactions fortes peuvent entraîner des comportements involontaires avec un impact négatif sur les performances professionnelles des employés, comme la jalousie à l'égard de ceux qui utilisent l'IA ou une dépendance excessive à l'égard des outils. Pourtant, peu d'entreprises prennent en compte ces données sur les comportements. Dans l'enquête réalisée par le Gartner en juin et juillet, seuls 20 % des DSI ont dit chercher activement à atténuer les impacts négatifs de la GenAI sur le bien-être des employés. « C'est pourtant un aspect essentiel de la stratégie », a fait remarquer Mary Mesaglio, analyste vice-présidente distinguée chez Gartner, « car l'IA peut engendrer à toutes sortes de réactions involontaires ».

7 - Modifier les comportements avec l'IA
Mais l'IA a justement aussi la capacité d'analyser les interactions et des communications sur le lieu de travail pour évaluer l'état d'esprit des équipes. Une démarche censée assurer aux entreprises que le sentiment général des employés s'aligne sur les comportements souhaités et que le personnel est motivé et engagé. D'ici à 2028, 40 % des grandes entreprises déploieront l'IA pour modifier et mesurer l'état d'esprit et les comportements de leurs employés, tout cela au nom du profit. Il est important de rappeler que ces résultats proviennent d'une enquête menée auprès d'entreprises non européennes, et en majorité anglo-saxonnes. Outre le niveau d'éthique contestable d'une telle démarche, reste à savoir si elle ne serait tout simplement pas contre-productive et ne produirait pas encore davantage d'aigreur vis-à-vis de l'IA.

8 - L'IA pour réduire les effectifs de cadres intermédiaires
Pour le Gartner, les entreprises qui déploient l'IA pour supprimer des postes de cadres intermédiaires pourront capitaliser sur la réduction des coûts salariés à court terme et sur les économies à long terme. D'ici à 2026, 20 % des organisations utiliseront en effet l'IA pour condenser leur structure organisationnelle, et supprimer plus de la moitié des postes de cadres intermédiaires actuels. Des raisons très concrètes pour les équipes de s'inquiéter de l'arrivée de la technologie.

9 - Un rythme de progression technologique jamais vu
« Dans un avenir proche, la GenAI progressera à un rythme encore plus rapide et devraient engendrer des transformations significatives », selon Arun Chandrasekaran, vice-président analyste distingué chez Gartner « les modèles de fondation massivement pré-entraînés, comme les LLM, deviennent plus multimodaux et sont désormais formés à la conversation ». En comparaison des autres Hype Cycles du Gartner, celui de la GenAI la situe au niveau du pic de toutes les innovations pour lesquelles les attentes sont exagérées, ce qui est caractéristique d'un marché à un stade précoce ».

10 - Se concentrer sur des produits minimum viables de type compagnons
Il faut aller au-delà de la productivité et envisager des cas d'usage de type 'IA compagnon' pour tenir toutes les promesses de l'IA, selon le Gartner. « Il faut développer des produits viables minimum (MVP) en composant et en mélangeant plusieurs techniques d'IA, car la courbe d'apprentissage de la technologie est incompressible », conseille ainsi Erick Brethenoux, vice-président et analyste distingué chez Gartner.