Comme l'a écrit le philosophe danois Søren Kierkegaard, « la vie ne peut être comprise qu'à l'envers, mais elle doit être vécue à l'endroit ». Mais que se passerait-il si, par un coup de baguette magique, nous pouvions remonter le temps et guider nos jeunes années à la lumière des années d'expérience accumulées ? Pour conseiller indirectement les DSI débutants, nous avons demandé à des responsables informatiques de revenir sur leurs premiers pas, en se souvenant des erreurs qu'ils ont commises lorsqu'ils ont commencé à assumer des fonctions de direction dans le domaine informatique, et de donner aux jeunes professionnels qu'ils étaient alors quelques conseils clefs.
Offrez-vous du temps
Certains DSI ont réfléchi à la manière dont ils géraient la ressource la plus précieuse dans cette profession : le temps. « Je conseillerais au débutant que j'étais alors de se donner plus de temps, en établissant un plan triennal, étape par étape, et ne pas essayer de tout réussir le premier jour et de tout résoudre la première année », explique David Henderson, directeur des technologies et des produits au sein du groupe de musique et de divertissement Global.
Gregory Morley, DSI du fournisseur de services United Living Group, est sur la même ligne et conseillerais au débutant qu'il était : « Arrête-toi et respire un peu plus ». Beaucoup d'autres personnes à qui nous avons parlé sont d'accord avec ce constat. Etre à 100 à l'heure en permanence est au mieux contre-productif et, au pire, une recette infaillible pour s'épuiser et se rendre impopulaire.
Exprimez-vous
Le fait d'avoir tu leurs pensées constitue un regret pour certains DSI qui se sont sentis intimidés ou dépassés face à leurs patrons, leurs collègues ou leurs propres équipes lorsqu'ils étaient nouveaux dans le rôle de responsable informatique. « Je regrette de ne pas m'être concentré sur les talents et la culture plutôt que sur la stratégie, reprend David Henderson. La bonne équipe avec la bonne culture peut tout faire, et au début, je n'ai pas été assez courageux pour faire face aux cyniques, aux personnes qui vous font perdre de temps et aux quelques profils toxiques qui affectent le moral de la majorité de l'équipe ».
De même, Caroline Carruthers, de la société de conseil en data Carruthers and Jackson, a recommandé d'être fidèle à soi-même : « C'est un point sur lequel j'insiste beaucoup auprès des jeunes dans les écoles. Ne vous limitez pas en fonction des attentes des autres. A mes débuts, j'avais l'impression que je devais être comme les autres à ce niveau, dire certaines choses et me comporter d'une certaine manière. Lorsque je me suis libérée et que j'ai eu le courage de m'opposer à ce en quoi je ne croyais pas, ma carrière a vraiment décollé ». Plusieurs DSI disent également qu'ils auraient aimé avoir plus de courage au début de leur carrière. « Une fois que vous êtes sur la sellette, ne vous remettez pas en question, dit Arthur Hu, DSI de Lenovo au niveau mondial, avec le recul. Il y a une différence entre être prudent et être trop hésitant, et il y a eu des moments où j'aurais pu être plus confiant. L'entreprise vous place dans un poste à responsabilités parce qu'elle a confiance en vous ».
Nic Bellenberg, DSI expérimenté aujourd'hui chez l'éditeur Condé Nast et ailleurs, a lui aussi quelques conseils pratiques à donner : « Je dirais qu'il ne faut pas avoir peur. Je me suis mordu la langue tellement de fois au cours de ma première année en tant que DSI [et] je regrette de ne pas avoir dit aux dirigeants qui me faisaient face : 'Non, vous avez tort. Ce n'est pas la bonne façon de faire les choses'. Je me souviens d'avoir été piégé par deux propriétaires d'entreprise, qui savaient qu'ils avaient sous-investi dans la technologie et l'équipe technique depuis de nombreuses années. Ils ont commencé par dire : 'Les choses ne vont pas si mal que ça, n'est-ce pas ?' J'aurais dû leur répondre : 'Pire que ce que vous pouvez imaginer' ». Tony Healy, DSI par intérim chez TDS Consulting, ajoute : « Le risque le plus important que vous puissiez prendre est de ne pas prendre de risques, de vous enliser dans la paralysie de l'analyse et de ne pas prendre de décision ».
Ce n'est pas (seulement) une question de technologie
Les DSI interrogés dans le cadre de cette enquête ont aussi souligné leur propension, alors, à trop se concentrer sur les aspects techniques de leur travail. Richard Steward, directeur technique de la société immobilière Nakheel aux Émirats arabes unis, résume la bonne attitude par une formule simple : « Pensez et parlez affaires d'abord, technologie ensuite. Il existe des milliers d'investissements technologiques qui peuvent servir à améliorer une entreprise, mais pour prendre les bonnes décisions, vous devez comprendre ce dont votre entreprise va réellement avoir besoin et vous aligner avec vos collègues CXO sur ce point ».
Tony Healy abonde dans le même sens : « Faites un effort pour rencontrer les parties prenantes de l'entreprise dès le premier jour. Montrez-leur que vous n'êtes pas un simple technicien, mais quelqu'un qui peut mettre la technologie à leur service. Etudiez la stratégie de l'entreprise, comprenez-la et donnez-vous pour mission de la mettre en oeuvre. Concentrez-vous sur la manière dont la technologie peut améliorer les choses pour les clients externes et internes ». Bruna Pellici, directrice technique du cabinet d'avocats Linklaters, partage également cet avis : « Il ne s'agit pas uniquement de technologie. Il s'agit tout autant de personnes, de la création d'une équipe équilibrée et diversifiée, du maintien de la motivation des salariés et de la mise en place de leviers de développement et de croissance. »
Bâtir des ponts
De même, approfondir les relations avec d'autres personnes au sein de l'organisation est une bonne pratique que de nombreux responsables informatiques souhaiteraient avoir apprise plus tôt. « Je conseillerais au jeune DSI que j'étais de passer beaucoup plus de temps avec le conseil d'administration, les cadres et les non cadres, pour les informer de la véritable valeur de la technologie, plutôt que de les laisser la considérer avant tout comme des PC sur des bureaux, des imprimantes et des serveurs, et des mises à jour périodiques de logiciels d'application », résume Jerry Fishenden, un dirigeant IT expérimenté et un expert en stratégie numérique pour le secteur public. « Je m'efforcerais de mieux bousculer leurs certitudes et de les éduquer sur certaines de leurs hypothèses les plus fondamentales concernant le fonctionnement de l'organisation, la façon dont elle se connecte à ceux qu'elle est censée servir, et ce qu'elle deviendra à l'avenir ».
« L'établissement de relations avec vos pairs, vos collègues et les différentes parties prenantes de l'organisation est essentiel à votre réussite en tant que DSI, abonde Tony Healy. Prenez le temps de comprendre les besoins et préoccupations des différents départements et construisez des relations basées sur la confiance et la collaboration. Concentrez-vous sur les résultats plutôt que sur les produits. Ne vous laissez pas submerger par les détails techniques. Concentrez-vous plutôt sur la manière dont vos initiatives informatiques peuvent aider l'entreprise à atteindre ses objectifs ».
Suivez une formation
Aujourd'hui, tous les DSI doivent penser à instaurer une culture de l'amélioration continue et de l'apprentissage tout au long de la vie pour eux-mêmes et pour leurs équipes. Ce qui vaut aussi pour les DSI nouveaux dans la fonction. Keith Baxter, responsable IT et de la sécurité à Carlow College, St Patrick's, en Irlande, explique : « Suivez une formation officielle en leadership. J'ai fait un mastère en leadership un peu plus tard et cela m'a vraiment permis d'ajouter un grand ensemble d'outils méthodologiques et de connaissances à mon profil, me permettant d'obtenir d'excellents résultats dans divers domaines ».
D'autres DSI pensent qu'il leur aurait été plus utile de se familiariser avec les rouages des opérations commerciales. « Je pense que la seule chose que je conseillerais au jeune DSI que j'étais, c'est de se former à la compréhension des bilans, de l'EBITDA et de la finance, dit David Ivell, chef de produit et responsable de la technologie chez Team Teach, une société spécialisée dans l'éducation. Souvent, en tant que DSI, nous venons d'un milieu technologique et nous conseillons ensuite les organisations sur les fusions et acquisitions, l'accélération de la croissance et les restructurations d'entreprise, et il ne s'agit alors plus seulement de technologie. J'ai acquis cette expérience au fil du temps, mais j'aurais pu raccourcir ce parcours ».
Raconter des histoires
Les DSI doivent traduire ce qui se passe dans le domaine de la technologie pour les personnes qui n'en comprennent peut-être pas toutes les nuances et les implications. Mais beaucoup vont plus loin et essaient de devenir de véritables conteurs, afin d'être à même de persuader leurs auditoires. Phil Brunkard, ancien DSI et directeur technique du géant des télécommunications BT, souligne ainsi l'importance de la psychologie et de la capacité de narration. « L'engagement des différentes parties prenantes et la manière dont vous influencez et obtenez l'adhésion des gens sont essentiels pour l'image que vous dégagez, ainsi que pour la perception de la technologie et de l'équipe informatique. S'ils sont réticents au changement ou manifestent une aversion au risque, cela affecte vos initiatives. Lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre un changement dans une organisation, tout dépend de la manière dont on parvient à s'adresser à la petite voix dans la tête des gens. Pensez à la narration dans les films, identifiez un héros, soyez conscient de cet enjeu et suivez une formation pour vous améliorer sur ce terrain ».
Une approche que rejoint Tony Healy : « Dans une salle de réunion, personne ne s'intéressera aux détails techniques. Racontez une histoire que l'auditoire peut comprendre. Lisez et abonnez-vous à des magazines, comprenez les dernières tendances, suivez d'autres DSI sur LinkedIn et regardez ce qu'ils suivent ou lisent. »
Investissez dans votre équipe
Plusieurs DSI ont souligné l'importance du renforcement et du développement de l'esprit d'équipe, notamment en donnant aux collaborateurs les conseils, les ressources et les outils dont ils ont besoin. Arthur Hu, de Lenovo, explique avoir été influencé par l'essayiste Jim Collins, auteur de 'Good To Great : Why Some Companies Make The Leap... And Others Don't', qui affirme que même si les circonstances changent, le fait d'avoir les bonnes personnes avec soi fait une énorme différence dans le succès de l'organisation. « L'un de ses livres parle de qui est dans le bus et qui en descend », dit le DSI, ajoutant que le fait de suivre ces conseils et d'apporter une attention toute particulière à la constitution de l'équipe a tout changé en termes d'enthousiasme et de résultats tangibles.
Mais parfois, la gestion d'une équipe doit aussi s'accompagner épisode de durcissement. « Ne sous-estimez pas les efforts nécessaires pour que votre équipe soit performante et impliquée, prévient Nic Bellenberg. Vous devez être inflexible lorsque vous traitez avec les membres les plus faibles de l'équipe, les dissidents et ceux qui ont généralement deux visages. Je me souviens d'avoir essayé d'encourager, de soutenir ou de faire preuve de diplomatie, plutôt que de dire directement aux membres du personnel concernés qu'ils n'étaient pas assez performants ou qu'ils étaient tout simplement hors service. Il s'agit de gérer le changement et c'est un sujet plus vaste que tout ce à quoi on ne peut se préparer tant qu'on ne l'a pas vécu au niveau d'une organisation. Mais si vous parvenez à cultiver suffisamment d'intrépidité, vous progresserez ».
Concilier vie professionnelle et vie privée
Le rôle de DSI comporte de grandes responsabilités, mais certains dirigeants aimeraient revenir en arrière et se rappeler que le travail, et la rapidité dans celui-ci, ne sont pas tout. « L'une des choses que je ne possédais pas en débutant, c'était la patience, et j'imposais donc beaucoup aux gens qui m'entouraient », explique Ghada Ijam, la DSI de la Réserve fédérale américaine. « J'étais aussi très dure avec moi-même : 'Pourquoi ne fais-tu pas les progrès que tu as dit que tu ferais ?' Je me concentrais beaucoup sur les résultats. Alors, soyez indulgents avec vous-même, reprend la dirigeante. Soyez réaliste dans vos attentes et dans le rythme de votre production propre et dans celui des personnes qui vous entourent. Amenez les gens à vous suivre en parlant à leur coeur et à leur esprit, et pas seulement avec des objectifs et des incitations. La note "A" était la seule que j'acceptais pour moi-même, ce qui impliquait de très longues heures de travail et donc des sacrifices familiaux. Courir à ce rythme finit par faire des ravages ».
Ghada Ijam ajoute que les confinements du Covid ont également modifié les attitudes et rendu les gens plus sensibles au mécontentement concernant les conditions de travail et la culture d'entreprise. « La chose la plus fascinante qui soit arrivée pendant la pandémie, c'est qu'elle nous a forcés à prendre du recul et à rentrer chez nous, à trouver du temps pour nos loisirs et à profiter de la nature, dit la DSI. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons vu tant de transitions professionnelles dans les entreprises. »
Pensez à l'égalité, à la diversité, soyez bienveillants
Gregory Morley, du United Living Group, indique qu'avec son expérience actuelle, il aurait insisté davantage et plus tôt sur le sujet de la diversité. De nombreux progrès ont été réalisés pour promouvoir l'égalité, la diversité et l'inclusion au sein de la communauté des DSI, mais Gregory Morley ajoute qu'il est également important de reconnaître les contributions des personnes dont le travail est souvent négligé : « Appréciez davantage la contribution des nombreux héros méconnus présents dans chaque entreprise. Il s'agit des assistants personnels diligents et patients et des administrateurs des ressources humaines, des finances, du service juridique, etc. qui graissent discrètement les rouages et rendent le rôle du directeur général beaucoup plus facile ».
David Henderson, de Global, estime que le fait d'intégrer des personnes extérieures peut également apporter une perspective nouvelle. « J'aurais aimé intégrer davantage de personnes dans l'entreprise. Faire appel à des ambassadeurs et à des experts au sein de l'entreprise au sens large s'avère toujours payant. »
Profitez-en
En discutant avec plusieurs DSI, nous avons découvert de nombreux souvenirs, quelques regrets, mais aussi des rires et des réminiscences heureuses. Un DSI glisse ainsi que s'il pouvait revenir en arrière, avoir accepté un poste chez Apple ou Microsoft aurait été une sage décision en termes de rémunération, en raison des stock-options. Mais de nombreux DSI expliquent que, quels que soient les avertissements qu'ils aimeraient adresser aux jeunes professionnels qu'ils étaient alors, une chose est claire : la fonction de DSI demeure un excellent plan de carrière. Quoi que vous fassiez au quotidien, n'oubliez pas d'apprécier ces moments !
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